Avec 14 comédiens de l’École supérieure d’art dramatique de Paris (ESAD), Clément Bondu poursuit dans Dévotion sa belle et singulière quête d’une parole, d’un espace théâtral réparateur des catastrophes d’hier et d’aujourd’hui. Des désastres de l’Europe.
Avec les épopées électro-rock de son groupe Memorial* comme avec son poème dramatique L’Avenir créé aux Plateaux Sauvages en octobre 2018, Clément Bondu nous a habitués à sa présence à la fois fragile et puissante. Avec sa compagnie Année Zéro, il nous a donné goût à sa voix profonde et à ses traits angéliques, juvéniles. À sa manière bien à lui de porter son propre verbe poétique aux accents crépusculaires, au charme d’après l’apocalypse. Avec Dévotion – Dernière offrande aux dieux morts, qu’il a présenté deux fois en avant-première au Théâtre de la Cité Internationale avant d’aller au Festival d’Avignon, il prouve sa capacité à mettre en scène d’autres corps, à faire avec d’autres sensibilités. Celles de 14 comédiens de la promotion 2019 de l’ESAD, pour qui il a écrit cette pièce pendant deux ans de laboratoires de recherche portés par Les Plateaux Sauvages. Davantage qu’un spectacle de fin d’études, il signe avec eux un important chapitre de l’oratorio peuplé de fantômes qu’il déploie de spectacle en spectacle. En voyageur errant, solitaire.
Dès les premiers mots du prologue de Dévotion, on reconnaît l’univers singulier de Clément Bondu. Dans une veste militaire d’un autre temps, un jeune homme assume seul le rôle du chœur. « Vous pensez ouvrir un livre de théâtre. Ou vous pensez être assis dans une salle de théâtre, dans le public, face à la scène », commence-t-il dans un souffle qui fait penser à celui de l’auteur lorsqu’il est lui-même au plateau. Mais avec une manière bien personnelle de s’emparer de l’espace, d’en faire un espace paradoxal. Un lieu non-identifiable où les violences et les catastrophes qui jalonnent l’Histoire de l’Europe depuis le XXème siècle sont exprimées avec la douceur, avec la poésie d’un espoir malgré tout.
Tout en restant fidèle à ses longues traversées verbales de paysages en ruines – au sens propre parfois, figuré le plus souvent – Clément Bondu a su opérer le virage suffisant pour les rendre partageable. Pour accueillir à ses côtés les jeunes comédiens de l’ESAD. Si comme les créations précédentes d’Année Zéro, Dévotion repose essentiellement sur la langue, on y découvre aussi des éléments nouveaux dans le vocabulaire de l’artiste. Des images quasi-cinématographiques surtout. Des tableaux vivants qui doivent beaucoup à la scénographe Anne-Sophie Grac et au collaborateur artistique Charles Chauvet, qui œuvre avec bon nombre de metteurs en scène bien repérés de sa génération – Marcus Borja, Élise Chatauret ou encore Lorraine de Sagazan. En situant les trois parties de la pièce – « Paris la nuit », « Le club » et « Fête des morts » dans des décors différents, le metteur en scène va vers les acteurs. Il leur offre des entrées concrètes pour pénétrer dans son univers de mots et de musique.
Pas de personnages au sens classique pour autant, dans cette fresque de 2h30, mais plutôt d’une accumulation de figures. Parmi lesquels quelques spectres récurrents. Le poète Animal-Baal par exemple, Ophélia ou encore L’Idiot, qui n’ont plus grand-chose des personnages théâtraux et romanesques dont ils portent le nom. Ballet d’hommes et de femmes sans qualités autres que leur recherche d’un peu de douceur et de lumière, Dévotion questionne les codes de représentation autant que les valeurs de notre civilisation. Évoluant au fil des parties vers une forme de rituel macabre mais présidé par un Idiot déguisé en créature à poils rose bonbon, ce beau spectacle d’entrée dans la vie professionnelle ne se complaît jamais dans le noir qu’il broie. Il en fait des danses et des totems.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Dévotion – Dernière offrande aux dieux morts
Texte et mise en scène : Clément Bondu
Scénographie : Anne-Sophie Grac
Collaboration artistique et création costumes : Charles Chauvet
Création lumières et régie générale : Nicolas Galland
Conseil chorégraphique : Amparo Gonzalez Sola
Production : École supérieure d’Art dramatique de Paris, département Théâtre du Pôle Supérieur Paris Boulogne-Billancourt.
Coproduction : Année Zéro, Les Plateaux Sauvages.
Avec le soutien du Théâtre de la Cité internationale (Paris).
L’école supérieure d’art dramatique de Paris (ESAD), est une des treize écoles supérieures d’art dramatique en France. Elle est le département théâtre du Pôle Supérieur Paris Boulogne Billancourt, établissement habilité par le Ministère de la culture à délivrer le diplôme national supérieur professionnel de comédien (DNSPC). Ses étudiants obtiennent également une licence Arts du Spectacle « parcours ESAD » en partenariat avec l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3Durée : 2h30
Festival d’Avignon 2019
Les 5, 6, 7, 8 juillet
Gymnase du lycée Saint-Joseph
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