La metteuse en scène noie sa réécriture délirante de la Bible dans un torrent d’énergie scénique qui, malgré le talent de ses cinq comédiennes, la submerge et la rend inaudible.
Au sortir du spectacle, les cinq comédiennes de Céline Champinot sont épuisées, visiblement lessivées, pas la grande essoreuse théâtrale dans laquelle la jeune metteuse en scène vient de les, et de nous, plonger. Leur performance est, à bien des égards, remarquable. Pendant plus d’1h30, Maëva Husband, Elise Marie, Sabine Moindrot, Claire Rappin et Adrienne Winling ne ménagent pas leurs efforts, et encore moins leur talent. Elles mettent toute leur énergie, déchaînée, foutraque, au service de cette bataille scénique et font de « La Bible, vaste entreprise de colonisation d’une planète habitable » un spectacle que nous aurions aimé aimer. Par sa fraîcheur, sa loufoquerie, il fait partie de ces propositions, rares, qui décoiffent et désarçonnent. Oui, mais voilà. A trop vouloir en faire, à trop hurler en front de scène, la performance devient écœurante et c’est l’ensemble qui se noie. Avec sa direction d’actrices survoltée, constamment pied au plancher, Céline Champinot a pris le risque de submerger son texte, jusqu’à perdre le spectateur en route.
Il faut dire que la pièce, sorte de réécriture très libre et délirante de la Bible, est loin d’être un modèle de limpidité. Voyez plutôt. A la sortie du catéchisme, cinq jeunes scouts d’Europe, indignés contre le Ciel, s’embarquent dans un jeu de rôles pour réinventer un monde, face au péril qui guette le nôtre. Ils endossent les habits de Richard Cœur de Lion, un président Républicain, de Philip K. Dick, un robot androïde, de David Xiaoping, l’inventeur des robots humanoïdes, de la reine des robots gynoïdes et d’un mystérieux Pharaon. « Sur cette planète de rechange, j’ai fantasmé un univers « K. Dickien » où l’humain s’hybride tant avec l’animal qu’avec la machine, où les animaux synthétiques ressemblent à s’y méprendre aux véritables, où l’intelligence artificielle des humanoïdes égale évidemment celle des humains, et où la question du vivant, de l’authenticité humaine et de ses origines, vient inquiéter nos préoccupations naturalistes », tente d’expliquer Céline Champinot. Dans cet univers mi-bio, mi-tech, on croise, pêle-mêle, la ville de Shanghai, l’enclave de Djibouti ou encore la brebis Dolly hybridée avec la chanteuse Dolly Parton.
A ce texte, pour le moins complexe dans les cheminements tortueux qu’il emprunte, la jeune artiste ajoute une bouffée de délire scénique. Matricée par un parti-pris franchement burlesque, sa mise en scène regorge d’idées, fondées sur des accessoires incongrus – des perceuses, une armure à visser, un filet d’escalade, une chaise d’arbitre métamorphosée en trône ou encore un tipi d’extérieur transformé en vaisseau spatial. Hypertrophiée, elle ressemble à un délire d’enfants, mâtiné de considérations géopolitiques, tantôt drôle, tantôt réussi, notamment dans ses moments chantés, mais trop souvent hermétique. Au lieu de soutenir le propos, de lui donner du souffle, sa proposition scénique l’étouffe et le rend inaudible. Les maigres éléments qui réussissent à transparaître – émergence du tout-robotique, destruction de la planète par une colonisation humaine dévastatrice, guerre progressive de tous contre tous – ne semblent pas dénués d’intérêt, mais ils sont trop spartiates pour reconstituer un quelconque puzzle intellectuel. Le spectacle de Céline Champinot apparaît alors pour ce qu’il n’est sans doute pas : un pur délire théâtral au foisonnement gloubi-boulguesque.
Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr
La Bible, vaste entreprise de colonisation d’une planète habitable
Groupe LA gALERIETexte et mise en scène Céline Champinot
Avec Maëva Husband, Elise Marie, Sabine Moindrot, Claire Rappin, Adrienne Winling
Chorégraphie, dramaturgie Céline Cartillier
Scénographie Emilie Roy
Lumière Claire Gondrexon
Costumes Les Céline
Régie générale Géraud Breton
Construction François Douriaux, Géraud Breton
Musique Céline Champinot, Eve Risser
Stagiaire scénographie Héloise Dravigney
Confection costumes Louise Lafoscade
Production, diffusion Mara Teboul – L’œil écouteProduction groupe LA gALERIE ; Théâtre Dijon Bourgogne, CDN
Coproduction La Filature, Scène nationale – Mulhouse ; Théâtre de La Bastille – Paris ; Théâtre de Choisy-le-Roi, Scène conventionnée pour la diversité linguistique ; le TU-Nantes, Scène de recherche et de création contemporaine
Avec le soutien du Centquatre – Paris ; Maison des Métallos – Paris ; Région Auvergne-Rhône-Alpes ; Hexagone Scène nationale Arts Sciences – Meylan
Remerciements à Nanterre-Amandiers, CDN
Subventionné par la Spedidam (La Spedidam est une société de perception et de distribution qui gère les droits des artistes interprètes en matière d’enregistrement, de diffusion et de réutilisation des prestations enregistrées)
Céline Champinot – groupe LA gALERIE sont associés au Théâtre Dijon Bourgogne, CDNDurée: 1h35
Théâtre de la Bastille
Du 20 novembre au 8 décembre 2018
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