« La Souricière » : Agatha Christie mène l’enquête

Photo Vincent Pontet

Le plus grand succès théâtral anglais de tous les temps débarque à la Comédie-Française dans une mise en scène de Lilo Baur. La Souricière, pièce inusable de l’illustre Agatha Christie, déploie une verve british et une théâtralité malicieuse, mais ne parvient pas à passionner.

Quand on lui dit La Souricière, le théâtreux français pense à Shakespeare et à la pièce qu’Hamlet fait représenter devant Gertrude et Claudius pour mieux les confondre. Mais, si c’est effectivement de l’autre côté de la Manche que cela se passe, l’Anglais pense lui à cette pièce écrite par Agatha Christie, qui est à l’affiche à Londres, sans discontinuer, depuis… 1952 ! Un blockbuster, un classique à faire pâlir d’envie La Cantatrice chauve et La Leçon de Ionesco, recordwomen du genre en France, représentées au Théâtre de la Huchette, mais depuis 1957 seulement… La pièce issue d’une œuvre radiophonique d’Agatha Christie, reconfigurée en nouvelle avant de se transformer en texte pour la scène, débarque à la Comédie-Française, en mode Vieux-Colombier, grâce à une grande habituée des lieux, Lilo Baur.

Le genre policier est rare au théâtre, même si on a pu associer de grands classiques, comme l’Oedipe roi de Sophocle, à des formes d’enquête. Pour pimenter le suspense de savoir qui est le meurtrier, le talent d’Agatha Christie, on le sait, est de rendre de nombreux personnages susceptibles d’être le coupable, et de savoir déjouer les pronostics de ses lecteurs. La Souricière n’y manque pas : le dénouement qu’on ne révélera pas ici, naturellement, a tout du bien nommé coup de théâtre. Qui est donc le meurtrier de Maureen Lyon ? se demande-t-on, jusqu’à ce que le danger se rapproche par l’intermédiaire d’un deuxième assassinat qui se commet au sein même de la pension des époux Ralston, transformée en refuge pour cinq pensionnaires pris au piège d’une tempête de neige, que vient rejoindre, à skis, l’inspecteur Trotter, en meneur d’enquête.

Pour autant, la tension dramatique n’est en rien haletante. Et l’intérêt de ce spectacle penche plutôt du côté de la représentation théâtrale de l’univers d’Agatha Christie, dont notre imaginaire a pu être abondamment nourri. Lilo Baur donne dans le pittoresque british avec son auberge tout en bois, avec poêle pour se réchauffer de la tempête, qui pénètre dans le salon sous la forme de bourrasques de neige dès qu’un nouvel arrivant en ouvre la porte, grande baie vitrée au fond derrière laquelle le niveau de la neige monte petit à petit, portes capitonnées de vert, qui donnent sur les étages, les sous-sols, les chambres, la cuisine, soit tout un hors-champ où se croisent les secrets de personnages hauts en couleur. De l’ordinaire couple d’aubergistes, Mollie et Giles Ralston, aux fantasques Christopher Wren et M. Paravicini, tous sont en effet à la lisière du normal, paraissent avoir quelque chose et, en même temps, rien à cacher. Avec plaid écossais et pipe de rigueur, avec la juge guindée, la femme taciturne, le barbu mystérieux, on est autant dans la galerie de personnages anglais qu’au bord de l’absurde. Dans un entre-deux plein de cocasserie et de références.

Malgré tout, on a rarement accroché à ces intrigues que l’autrice mène à sa guise, réservant ses effets de surprise en distillant au fur et à mesure ses révélations. Peut-être n’aime-t-on pas jouer au Cluedo quand un participant connaît déjà la réponse, si bien que la résolution du mystère des meurtres de Maureen Lyon et Madame Boyle tient moins pour nous l’intérêt du spectacle que son humour diffus et les trouvailles scéniques pleines de malice de Lilo Baur. C’est un peu léger, même s’il reste, bien sûr, l’interprétation estampillée qualité Comédie-Française des interprètes. Efficacité des répliques, théâtralité des personnages, La Souricière vient rappeler que la star du roman policier était aussi une dramaturge efficace, même si la forme policière tourne, à notre goût, dans une forme de ronronnement. Comme l’exprime (positivement) Éric Ruf dans son édito, on passe avec ce spectacle « une soirée comme au coin d’un feu ». Un feu qui réchauffe les bons souvenirs plus qu’il ne crépite.

Eric Demey – www.sceneweb.fr

La Souricière
d’Agatha Christie
Mise en scène Lilo Baur
Traduction Serge Bagdassarian, Lilo Baur
Avec Clotilde de Bayser, Christian Gonon, Serge Bagdassarian, Anna Cervinka, Claire de La Rüe du Can, Jean Chevalier, Sefa Yeboah, Jordan Rezgui, et les voix de Laurent Stocker, Pauline Clément, Alba Bouyer-Meuriot, Agnès Falque, Mich Ochowiak
Scénographie Bruno de Lavenère
Costumes Agnès Falque
Lumières Laurent Castaingt
Musiques originales et son Mich Ochowiak
Assistanat à la mise en scène Rafael Pardillo, Florimond Plantier
Réalisation du décor dans l’Atelier de construction du Théâtre Royal des Galeries (Bruxelles)

Avec le généreux soutien d’Aline Foriel-Destezet, grande ambassadrice de la création artistique

La pièce La Souricière d’Agatha Christie est représentée en France par l’agence DRAMA en accord avec Concord Theatricals pour le compte de Samuel French Ltd.

Durée : 1h35

Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris
du 4 juin au 13 juillet 2025