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« Valentina », le conte de classe A de Caroline Guiela Nguyen

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Caroline Guiela Nguyen crée Valentina au Théâtre national de Strasbourg
Caroline Guiela Nguyen crée Valentina au Théâtre national de Strasbourg

Photo Jean-Louis Fernandez

Caroline Guiela Nguyen offre un spectacle aussi touchant que captivant, où les outils du conte sont mis au service d’un propos politique qui dénonce, à hauteur de sentiments humains, les travers du réel.  

Assis à cette table qui sert d’interface à toutes les conversations, Monsieur Popa dispense un cours à Valentina sur « la Classification Européenne des Mensonges », et le cuisinier-interprète d’expliquer à la fillette que les boniments « sont classés A, B, C et D » en fonction de leur durée de vie. « Les mensonges classés D sont ceux qui durent entre 30 secondes et 2 minutes […] et sont souvent très simples à détecter par un outil d’analyse commun à tout humain : le bon sens. […] Les mensonges classés C, eux, ont plusieurs mois, voire plusieurs années de vie. Ils sont plus difficiles à repérer, mais souvent, le temps joue contre eux car on peut les débusquer par un outil redoutable qui s’appelle une contradiction. […] Et enfin, il y a les mensonges classés B […] qui peuvent durer toute une vie. […] Parce qu’aucune contradiction, aucun bon sens ne peut les trahir et c’est très dangereux. Parce que celui qui le prononce est pris au piège de son propre mensonge. » Face à cette mise en garde à peine voilée, Valentina ne pipe mot. Invitée à aller jouer, la jeune fille reste fixée sur sa chaise, attendant une chute qui ne vient pas, sur les mensonges classés A. « Oh ça ! de toute ma carrière, je n’en ai jamais vu, lui répond Monsieur Popa. C’est un mensonge qui devient réalité. » Et c’est là que la démonstration de l’éphémère professeur achoppe (volontairement) à nos yeux de spectatrices et spectateurs, tant la pièce qui lui a donné naissance, Valentina, ressemble à s’y méprendre à ce fameux « mensonge classé A », à une fiction – mensongère, donc – qui n’aurait d’autres buts que de décrire le réel, ses travers et ses tourments – par essence véridiques –, à un conte qui aurait absorbé la réalité pour mieux la contempler.

Cette histoire dopée au « Il était une fois », Caroline Guiela Nguyen se garde bien de l’inscrire dans la tradition séculaire et moralisatrice du genre, celle qui utilisait les figures de rois, de reines, de preux chevaliers, mais aussi d’animaux, de fées et d’autres créatures plus ou moins somptueuses pour, grâce à leurs atours attrayants, séduire et éduquer les masses selon des préceptes judéo-chrétiens et hétéronormés qui garantissaient la bonne marche dominatrice de la société patriarcale. Les ferments de son conte, présenté en ouverture des Galas du TnS qu’elle dirige, la dramaturge et metteuse en scène est plutôt allée les chercher dans les marges du réel, au contact de l’association Migrations Santé Alsace, qui favorise l’accès des populations exilées aux dispositifs et aux droits en matière de santé. C’est là qu’elle a rencontré plusieurs interprètes – géorgien, albanais, afghan, turc, arabe, vietnamien, russe… – chargées d’aider les personnes allophones dans leur parcours de soin ; c’est là aussi qu’elle a appris que, « faute de professionnels pouvant assurer la traduction, les familles avaient recours à leurs propres enfants » afin de pouvoir être soignées. Valentina, dont elle a imaginé l’histoire, est justement de ceux-là.

Âgée de neuf ans, la jeune fille d’origine roumaine doit se résoudre à laisser son père au pays pour accompagner sa mère en France. Gravement malade du coeur, sujette à des crises cardiaques à répétition qui abîment irrémédiablement son muscle cardiaque, « La Maman » fait face à une impasse médicale en Roumanie et espère pouvoir être soignée à son arrivée dans l’Hexagone. Tandis que Valentina, épaulée par une directrice d’école et un cuisinier-interprète très impliqués, se révèle être une élève brillante dans la classe où elle a atterri, notamment dans son apprentissage du français qu’elle ne tarde pas à maîtriser avec habileté, la trajectoire médicale de sa mère est, a contrario, semée d’embûches. Incapable de se débrouiller dans la langue de Molière, dont elle ne connaît aucun rudiment, elle fait face à l’intransigeance d’une médecin qui lui réclame l’aide d’un interprète pour poursuivre, et faciliter, son parcours de soin. Après avoir tenté de se débrouiller avec les moyens du bord – en utilisant, pêle-mêle, le traducteur simultané de son téléphone portable ou l’appel à une amie francophone installée en Roumanie –, « La Maman » se résout à utiliser les nouvelles compétences de Valentina pour mieux comprendre et se faire comprendre du corps médical. Accompagnées de Gros Nounours, la mascotte de l’école qu’elles ont en garde, la mère et la fille se rendent alors désormais ensemble aux rendez-vous, au risque de compromettre la réussite scolaire de Valentina qui, à force d’être confrontée à des problèmes de grands, les endossent et se retrouve plongée dans une spirale mensongère.

Dans la droite ligne de Saigon et de Lacrima, Caroline Guiela Nguyen continue à exploiter cette veine dramaturgique qui lui réussit si bien, alimentée par une tonalité mélodramatique assumée et une qualité d’écriture dont les variations d’intensité, dignes des meilleures séries, font toujours mouche. Une nouvelle fois, la dramaturge se montre capable de tricoter un récit en mesure, comme peu d’autres, d’embarquer pleinement son auditoire, de le capter dès les premières minutes pour ne le relâcher qu’à la toute fin. Ce tour de force, loin de valoir uniquement pour lui-même, l’artiste le met au service d’un propos éminemment politique qui, tout en se servant des outils du conte – y compris des personnages génériques, du happy ending et d’un retournement final aux accents fantastiques –, décrit par le menu les travers du réel : la maltraitance des patients allophones, parfois confrontés à un personnel médical d’une telle intransigeance qu’elle le rend défaillant ; la trop grande responsabilité que les manquements du système font peser sur les épaules des enfants des populations exilées ; la volonté de protection de l’enfance qui peut se transformer en menace pour la solidité familiale si elle est employée à mauvais escient ; la spirale mensongère à laquelle parents et enfants sont contraints, et dans laquelle ils s’abîment, non pas pour arriver à leurs fins utilitaristes, mais simplement pour survivre. De tout cela, de la nécessite de regarder en face ces difficultés qui passent bien souvent sous les radars, Caroline Guiela Nguyen ne cherche pas à convaincre, mais à persuader, en plaçant son conte à hauteur de sentiments humains, voire enfantins, en touchant les coeurs avant de s’adresser aux esprits.

Pour cela, la metteuse en scène combine ce que le théâtre et le réel peuvent, chacun à leur endroit, lui offrir de meilleur. Grâce aux artifices du premier, elle confectionne un univers scénique reconnaissable entre mille, où la scénographie aux accents féériques d’Alice Duchange s’allient aux subtiles et malicieuses lumières de Mathilde Chamoux – à commencer par les délicieux reflets lumineux provoqués par les mouvements d’une feuille dorée située à cour – et au travail sur le son et la musique piloté par Quentin Dumay et Teddy Gauliat-Pitois – dont les battements de coeur plus ou moins réguliers, et qui ne sont pas sans rappeler ceux du Mon coeur de Pauline Bureau, concourent pleinement à la mise sous tension du plateau ; du second, elle retire une authenticité, liée à ces interprètes non-professionnels dont elle aime s’entourer, et qu’elle sait aujourd’hui diriger le plus finement possible pour gommer les éventuels décalages avec les comédiens de formation. Au côté de Chloé Catrin, qui incarne alternativement la médecin et la directrice d’école – deux rôles dont les contours pourraient être affinés pour éviter quelques élans caricaturaux –, Loredana Iancu et Cara Parvu – en alternance avec Angelina Iancu – s’illustrent dans leur duo mère-fille, tel un attelage de femmes fortes, bien décidées à se servir de l’amour filial qui les unit pour transformer les montagnes en collines et vaincre l’adversité qui les menace. Toutes deux issues de la communauté roumaine de Strasbourg, elles profitent notamment du fin travail sur la langue – et sur l’absence régulière et calculée de traduction – menée par Caroline Guiela Nguyen, et finissent de donner à ce Valentina l’aura d’un « mensonge classé A ».

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Valentina
Texte et mise en scène Caroline Guiela Nguyen
Avec Chloé Catrin, Angelina Iancu en alternance avec Cara Parvu, Loredana Iancu, Paul Guta, Marius Stoian, et les voix de Cristina Hurler et Adeline Guillot
Dramaturgie Juliette Alexandre
Scénographie Alice Duchange
Consultation et interprétariat pour le roumain Natalia Zabrian
Assistanat à la mise en scène Iris Baldoureaux-Fredon, Amélie Énon
Son Quentin Dumay
Musique Teddy Gauliat-Pitois
Lumière Mathilde Chamoux
Vidéo Jérémie Scheidler
Cadreur Aurélien Losser
Costumes Caroline Guiela Nguyen, Claire Schirck
Maquillage Émilie Vuez
Stagiaire à l’assistanat à la mise en scène Noé Canel
Film d’animation Wanqi Gan
Accompagnement des habitant·es acteur·rices Flora Nestour
Réalisation du décor Ateliers du TnS

Production Théâtre national de Strasbourg
Coproduction Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa ; Théâtre de l’Union, Centre dramatique national du Limousin
Avec l’accompagnement du Centre des Récits du TnS

Remerciements à l’association Migrations Santé Alsace et aux services de chirurgie cardiaque et de cardiologie des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg

Valentina est une adaptation du conte Valentina ou la Vérité paru aux éditions Actes Sud-Papiers dans la collection « Au singulier », en avril 2025.

Durée : 1h20

Vu en avril 2025 au Théâtre national de Strasbourg, dans le cadre des Galas du TnS

Théâtre de la Ville, Les Abbesses, Paris
du 2 au 15 juin

Théâtre national de Strasbourg
du 16 septembre au 3 octobre

Les Célestins, Théâtre de Lyon
du 8 au 12 octobre

Romaeuropa Festival, Rome (Italie)
du 16 au 19 octobre

Théâtre de l’Union, CDN du Limousin, Limoges
du 5 au 7 novembre

Le Channel, Calais
du 14 au 16 novembre

Tandem, Scène nationale Arras-Douai
du 24 au 26 novembre

Teatre Lliure, Barcelone (Espagne)
du 8 au 11 janvier 2026

La Garance, Scène nationale de Cavaillon
les 21 et 22 janvier

Le Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon
les 4 et 5 février

Piccolo Teatro, Milan (Italie)
du 14 au 16 mai

Ruhrfestspiele, Recklinghausen (Allemagne)
du 3 au 5 juin

2 juin 2025/par Vincent Bouquet
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