Noella Ngilinshuti Ntambara commence le théâtre en 2017 à Tours avec l’option théâtre du lycée Rémi Belleau. Elle entre en cycle 1 d’art dramatique au Conservatoire de Tours, puis rejoint le Théâtre Universitaire de Tours dirigé par le Collectif Nightshot. Elle sera Antigone dans la nouvelle mise en scène de Laurence Cordier au Théâtre de la Manufacture – CDN Nancy-Lorraine.
Avez-vous le trac lors des soirs de première ?
Énormément. Avant chaque première, je me demande pourquoi je suis là, pourquoi je m’inflige autant de stress. J’ai la nausée, j’ai l’impression de sortir de mon corps. C’est à la fois excitant et paralysant d’entendre les spectateur.ice.s s’installer dans leurs sièges. Et puis, dès que j’entre sur scène, que je ressens l’écoute du public et la lumière des projecteurs, je me rappelle pourquoi j’aime ce métier et le plateau. Avec l’expérience, j’apprends à gérer ce stress pour qu’il ne me bloque pas, j’essaie de me souvenir que je suis là pour jouer, pour m’amuser au plateau avec mes camarades et avec le public.
Comment passez-vous votre journée avant un soir de première ?
Le matin, je relis mes notes et je revois les enjeux des scènes. Je me laisse la journée pour me reposer, me balader, prendre de l’énergie, écouter de la musique ; puis, je me prépare physiquement en fin d’après-midi avec des étirements, des exercices d’articulation et de respiration pour me recentrer dans le corps. Ensuite, je rejoins mes camarades de jeu au plateau et j’aime ces moments quelques heures avant que le public entre. Il y a toujours une énergie stimulante et excitante dans l’air les soirs de première, c’est électrique, on fait des allemandes, on s’échauffe ensemble, on se donne de la force.
Avez-vous des habitudes avant d’entrer en scène ? Des superstitions ?
J’échange un « bon voyage » avec tous mes camarades. J’écoute mes playlists, je danse, je bouge mon corps dans tous les sens et je porte une attention particulière à ma respiration. Sinon, il y a une chanson que j’écoute à chaque fois et qui m’aide à me redonner confiance, c’est I’m Ready de Tracy Chapman. Je prie, et quelques fois j’appelle ma mère pour qu’elle me bénisse.
Première fois où je me suis dit « Je veux faire ce métier » ?
C’était en terminale. On avait monté Peer Gynt d’Henrik Ibsen avec l’option théâtre de mon lycée, mis en scène par Fabien Moiny. J’avais plusieurs partitions, mais mon personnage central était Le Maigre, cette créature démoniaque qui partait à la pêche aux âmes. Je me souviendrai toujours de la manière dont ma propre voix et le mouvement de mon corps en entier me surprenaient. J’avais l’impression de flotter au-dessus du plateau. L’écoute du public était si délicieuse, le temps s’était étiré, c’était comme si je pouvais sentir toutes les particules dans l’air. Quand j’y repense, c’était une expérience assez étrange en soi, mais je me sentais exactement à ma place. En rentrant chez moi le soir, je savais que je voulais faire du théâtre mon métier. Parce qu’au-delà de cette expérience du plateau, j’avais aussi découvert ce sentiment de faire partie d’une troupe, un groupe d’ami.e.s où chacun.e se sentait à l’aise d’être elle.lui-même et où on s’amusait pour créer quelque chose ensemble.
Premier bide ?
Quand j’étais en cycle 1 au Conservatoire de Tours. On travaillait la première scène de Silvia et Lisette dans Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux. J’avais bossé les intentions et les mouvements dans le texte, je me sentais prête. Mais, une fois au plateau, la scène ne marchait pas parce que je n’articulais pas assez pour que l’on comprenne quoi que ce soit. Je parlais super vite et j’avalais tellement de syllabes.
Première ovation ?
En tant que spectatrice, c’était peut-être quand j’étais en troisième année de licence à Galway. C’est l’année où j’ai vraiment commencé à aller au théâtre régulièrement. En tant que comédienne, c’était pour le Peer Gynt quand j’étais au lycée. Après la représentation, ma prof de maths m’avait dit que j’avais un avenir dans l’univers des arts du spectacle.
Premier fou rire ?
L’année dernière, j’ai joué dans une pièce intitulée We’re All Gonna Get What We Want écrite et mise en scène par Michael Lucy. C’était entièrement écrit dans un style qui ressemble un peu au flux de conscience d’un roman de James Joyce : des monologues sans ponctuation qui contiennent des ensembles de mots et d’expressions sans réel lien logique ou narratif. Le texte était magnifique, mais aussi très dur à apprendre. Un soir, ma partenaire de jeu et moi étions dans les coulisses et on écoutait la scène de nos camarades. On était en fou rire parce que les comédien.ne.s au plateau s’étaient totalement embrouillé.e.s dans le texte, il.elle.s improvisaient la scène en répétant des bouts de phrases et des « You know what I mean ? ». C’était le chaos total, mais c’était si drôle parce que le public avait compris que les comédien.ne.s étaient perdu.e.s dans le texte et il.elle.s riaient aussi.
Premières larmes en tant que spectatrice ?
C’était pour We Dance mis en scène par Praise Titus, un spectacle que j’ai vu à Galway pendant mon année Erasmus en Irlande. C’est une pièce inspirée de l’oeuvre de Ntozake Shange, For Colored Girls Who Have Considered Suicide / When the Rainbow Is Enuf, où des personnages de femmes noires racontent leurs histoires, leurs désirs, leurs peines et aspirations. C’était une expérience immersive et pleine de couleurs, il y avait de la danse, de la musique. C’était aussi la première fois que je voyais un casting de femmes noires au plateau. Elles étaient si belles et complexes, étranges et vulnérables. Je me suis vue en chacune d’elle, c’était une expérience magique. Tellement magique que j’en ai fait mon sujet de mémoire de master !
Première mise à nue ?
Sans doute quand j’ai joué Maria, le personnage principal d’une pièce intitulée Skin. J’incarnais cette femme qui avait survécu à une agression sexuelle et le texte était si percutant que je pleurais à chaque fois qu’on le jouait. C’était la première que je pleurais au plateau et je ne savais pas vraiment comment réagir à mes propres émotions. Le personnage de Maria et l’expérience traumatisante à laquelle elle a survécu étaient très différents de mon propre vécu, mais j’avais l’impression de dévoiler quelque chose de moi, sans vraiment le vouloir. Je pense que ce personnage m’a appris à vraiment faire confiance à la matière textuelle et à me laisser emporter par les mots.
Première fois sur scène avec une idole ?
J’ai dirigé un bord plateau pour le spectacle de Rébecca Chaillon Carte noire nommée désir au Théâtre Olympia de Tours. Je n’ai pas joué avec les actrices de ce spectacle, mais j’étais sur scène avec elles et c’était incroyable. J’ai eu la chance de discuter avec Rébecca Chaillon de son processus créatif, de son rapport à l’écriture de fiction et au corps. Ces discussions m’ont beaucoup inspiré pour écrire et me dire que je peux créer aussi.
Première interview ?
Celle-ci !
Premier coup de cœur ?
Dominique Blanc en Phèdre dans la mise en scène de Chéreau. J’étais en 5ème, au collège, et ma prof de français, qui dirigeait une option de théâtre, nous avait montré la captation du spectacle. Dominique Blanc était saisissante en Phèdre, je ne comprenais pas tous les enjeux de la pièce, mais j’étais accrochée à ses lèvres. Je pense que c’est son regard et le souffle dans sa voix qui m’ont frappée, la manière dont elle était habitée par le personnage. Cette performance reste dans ma tête même maintenant et je la revisionne tous les ans.
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