Entre monumentalité et immuabilité, Arthur Nauzyciel met en scène Les Paravents de Genet pour lesquels il réunit une distribution viscéralement engagée à faire corps avec le texte.
Paraissant des hauteurs du plateau, présence aussi solide que céleste, Saïd, que joue Aymen Bouchou à la fois sombre et solaire, est un mauvais garçon et un rêveur d’ailleurs. Rejoint par sa mère, sensible et sauvage Marie-Sophie Ferdane, en guenilles noires comme ses pieds nus, il dévale à côté d’elle l’immense escalier qui sert de décor unique, et ce dans un lent mouvement, une sorte de flottement qui fait aussitôt se suspendre le temps. Leurs ombres de parias contrastent avec la blancheur des marches marmoréennes. Ils sont si pauvres que le fils ne peut qu’épouser la femme la plus laide du canton, Leïla, laide à dissimuler son visage derrière une cagoule. Intrigants, ils sont l’illustration même du puissant intérêt de Genet pour les rejetés, les réprouvés. Dans Les Paravents, comme ailleurs, ces figures prosaïques et pittoresques ne manquent pas. Putains baroques aux poitrines et jupons d’or, militaires lubriques et nonchalants, soldats ou légionnaires, travailleurs et mendiants, tous habitent la scène de cette pièce-monstre. On dénombre de très nombreux personnages mais dont pas un seul ne passe inaperçu grâce à la manière tout à fait exceptionnelle que les comédiens ont de leur donner corps, chair, esprit, relief, en conjuguant un jeu hyper concret aux accents scéniques frôlant davantage l’abstrait.
Inspiré par le théâtre oriental et honnissant le théâtre illusionniste, Genet préconisait dans ses intentions de mise en scène l’usage du masque ou de nez et menton postiches. Sans jamais se résoudre à prendre l’option du carnavalesque, Arthur Nauzyciel va dans le sens d’un cérémonial qui ne souffre d’aucune illustration à laquelle il préfère largement la déréalisation. Il pèse sur le plateau le poids d’une histoire, d’un vécu, tout à fait palpables mais plongés dans un bain d’irréalité. Comme très souvent dans son œuvre, le metteur en scène orchestre un défilé de « présences-absences » qu’on dirait être celles de spectres, de revenants. Ils hantent un vaste espace dans lequel ils se débattent comme sur le champ de bataille d’un conflit à la fois politique et intime qui ne porte pas de nom, mais fait évidemment pensé à la guerre d’Algérie. Empreint de rapports de force entre dominants et dominés dont sont exacerbées les attitudes respectives, cet espace oppose (les colons et les Arabes) puis finalement réunit (les vivants et les morts).
Trop peu de versions des Paravents se sont données à voir depuis la création de la pièce au scandale retentissant à l’Odéon, en 1966, par la compagnie Renaud-Barrault dans la mise en scène de Roger Blin, à laquelle succède la mise en scène de Patrice Chéreau. C’est pourtant une pièce foisonnante et passionnante qui questionne le rapport à l’Autre, à l’étranger. Parfois austère, peut-être même absconse, elle fait montre d’une audacieuse liberté à faire crûment émaner du mal, de la violence, de l’abjection sa part évidente de beauté. Arthur Nauzyciel s’empare de cet aspect sans trop s’autoriser la disconvenance. Il joue davantage la distance que l’outrance. Par exemple, la scène des légionnaires s’adonnant à de déflagrants pets reste très modérée. La poésie et la pertinence indéniables de sa proposition résident ailleurs, dans une peinture en creux du chaos, de l’errance d’un monde jusqu’à sa saisissante chute.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Les paravents
Texte
JEAN GENET
Mise en scène
ARTHUR NAUZYCIEL
Assistanat à la mise en scène
CONSTANCE DE SAINT REMY
THÉO HEUGEBAERT
Dramaturgie
LEILA ADHAM
Travail chorégraphique
DAMIEN JALET
Lumières
SCOTT ZIELINSKI
Scénographie et accessoires
RICCARDO HERNÁNDEZ
avec la collaboration de
LÉA TUBIANA
Son
XAVIER JACQUOT
Costumes, maquillages, coiffures
JOSÉ LÉVY
Assistanat costumes
MARION RÉGNIER
Coiffures et maquillages
AGNÈS DUPOIRIER
CastingBÉNÉDICTE GUIHO
Réalisation du décor
ATELIERS DU THÉÂTRE DU NORD
Réalisation des costumes
ATELIERS DU THÉÂTRE NATIONAL DE BRETAGNEavec Hinda Abdelaoui, Zbeida Belhajamor, Mohamed Bouadla, Aymen Bouchou, Océane Caïraty, Marie-Sophie Ferdane, Xavier Gallais, Hammou Graïa, Romain Gy, Jan Hammenecker, Brahim Koutari, Benicia Makengele, Mounir Margoum, Farida Rahouadj, Maxime Thébault, Catherine Vuillez et la voix de Frédéric Pierrot
Production : Théâtre National de Bretagne.
Coproduction : Maison de la Culture d’Amiens
avec la participation artistique du Jeune théâtre nationalDurée : 3h avec entracte
Du 31 mai au 19 juin 2024
Odéon
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