La metteuse en scène et chorégraphe Robyn Orlin tourne excessivement en dérision Les Bonnes de Jean Genet dont elle présente au Festival d’automne une version extravagante entre théâtre et cinéma.
Un simple écran sert de cadre et de support de jeu dans la singulière proposition scénique de Robyn Orlin qui réutilise un procédé qu’elle affectionne, celui du realtime movie. Les interprètes jouent devant une caméra sur pied et s’incrustent directement dans les images tirées du film que Christopher Miles a réalisé en 1975 à partir de la pièce de Genet. Le dispositif permet un choc total des esthétiques, d’une part, le bourgeoisisme cossu, ostentatoire, de l’objet cinématographique précité et, de l’autre, une imagerie qui s’apparente à celle d’une mauvaise série télévisée ou d’un clip vidéo commercial. La fabrication en direct de ce film cheap (et assumé comme tel) peut sembler ludique mais elle finit par prendre le pas sur le jeu et les véritables enjeux de la pièce.
Dans son oeuvre la plus célèbre, Genet imagine le puissant dérapage d’une révolte domestique. Deux sœurs fomentent le plan d’empoisonner leur infernale patronne et courent à leur propre perte. L’intrigue qui ne peut se réduire aux seuls rapports de force qu’elle contient, distille, dans son extrême violence, toute l’ambiguïté érotico-perverse d’un jeu de rôles et de domination vertigineux auquel s’adonnent les personnages épris autant de fascination que de détestation pour leur riche maîtresse de qui elles endossent les somptueux habits et singent les manières autoritaires. Il est du coup bien difficile de définir à quel registre appartient la pièce. On a connu Les Bonnes montées sur tous les tons, tantôt plutôt burlesque, tantôt franchement macabre, tantôt plus onirique et fantasmatique.
L’artiste et militante iconoclaste qu’est Robyn Orlin ne cesse de proposer dans son travail une matière politique et polémique qui vise à pulvériser la culture dominante ethnocentrée. Elle vit et travaille aujourd’hui en Europe mais a grandi en Afrique du Sud pendant l’apartheid. C’est à cette époque qu’elle découvre la pièce et en retient un sentiment offusqué parce que les rôles de Claire et Solange étaient jouées par des comédiennes blanches. Plusieurs décennies après, ses bonnes sont campées par deux acteurs noirs, Arnold Mensah et Maxime Tshibangu, vêtus de combinaisons qui font figure de mixte entre le pantalon de jogging et l’uniforme d’éboueur. Madame est tenue, quant à elle, par Andréas Goupil, un comédien blanc sur semelles blanches compensées, aux allures de fashionista douée en ready made.
En choisissant un trio de jeunes et beaux garçons pour camper les trois personnages féminins de la pièce et en insistant sur l’opposition de leur couleur de peau, Robyn Orlin ajoute au conflit de classes les questions de race et de genre. Ainsi, voudrait-elle signer un spectacle fondamentalement engagé. Et bien, sa lecture est trop épaisse, blagueuse, caricaturale, pour être à la hauteur de son ambition. Plein d’une énergie physique survoltée, au mépris de la justesse et de la profondeur, les acteurs prennent la pose et hyperbolisent une féminité parodiée. A l’exception de sa fin plus habitée, le spectacle cède continuellement à l’outrance et à la superficialité. Sans cruauté, le texte, cette fois, ne bouscule, ne dérange pas comme il devrait.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Les bonnes de Jean Genet
Mise en scène, Robyn Orlin
Avec Andréas Goupil, Arnold Mensah, Souleyman Sylla
Lumières, Laïs Foulc
Vidéo, Eric Perroys
Costumes, Birgit Neppl
Coproduction City Theater & Dance Group ; CDN de Normandie-Rouen ; Théâtre Garonne – scène européenne (Toulouse) ; Kinneksbond, Centre culturel Mamer ; Théâtre de la Bastille (Paris) ; Festival d’Automne à Paris
Coréalisation Théâtre de la Bastille (Paris) ; Festival d’Automne à Paris
Spectacle créé le 3 novembre 2019 au CDN de Normandie-RouenDurée : 1h20
Théâtre de la Bastille
4 au 15 Novembre 2019Théâtre Louis Aragon, scène conventionnée d’intérêt national Art et création – danse de Tremblay-en-France
30 Novembre 2019
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