Réouverture de la carrière de Boulbon, hausse de la fréquentation, succès plus ou moins attendus et quelques déceptions au tableau… Retour sur l’édition 2023 du Festival d’Avignon, la première depuis la prise de fonction de Tiago Rodrigues en tant que directeur.
Le marathon touche à sa fin. Après trois semaines marquées par une météo clémente et une fréquentation en hausse par rapport à l’an dernier, Avignon referme la 77e édition de son célèbre festival de théâtre. Pour sa première année en tant que directeur, Tiago Rodrigues a le sentiment du devoir accompli : celui, rabâché à l’envi, d’une « grande fête populaire ». Près de 115 000 places ont été vendues, soit un taux d’occupation de 94%, contre 92% en 2022, alors même que 15 000 billets supplémentaires ont été proposés aux spectateurs. Cette attractivité auprès du public se vérifie aussi par la part de primo-festivaliers, 15%, et par le nombre de spectateurs étrangers, en hausse de 3 à 4% par rapport à l’été dernier, jusqu’à représenter 17% du public d’Avignon. Un intérêt de l’international qui s’explique, sans doute, par la langue invitée cette année, l’anglais, et par la traduction de l’ensemble des supports de communication dans la langue de Shakespeare, ainsi que par le surtitrage d’une large partie des représentations.
Devant les indicateurs encourageants de cette 77e édition, Tiago Rodrigues évoque une « parenthèse enchantée » (l’une de ses expressions favorites) et se félicite de la fidélité du public malgré l’inflation. Cette année, l’équipe a fait le choix d’avancer de deux mois l’ouverture de la billetterie, lancée le 7 avril, permettant aux festivaliers d’anticiper leur venue et donc de profiter de tarifs plus raisonnables en matière de transport et de logement – rappelons que 60% des spectateurs habitent à plus d’une heure d’Avignon. À l’avenir, Tiago Rodrigues et ses équipes souhaitent développer des dessertes TER en adéquation avec les horaires des représentations afin de faire baisser la pression immobilière sur Avignon intra-muros. Laquelle est par définition un espace contraint.
Présenté à la carrière de Boulbon, rouverte après sept ans d’absence, le spectacle de Philippe Quesne, Le Jardin des délices, a largement, et logiquement, dopé les ventes. Deuxième jauge, de 1200 places environ, après la Cour d’honneur et ses 1947 places, le lieu s’est imposé comme l’un des moteurs de cette 77e édition, malgré l’investissement très coûteux que représente son ouverture. Depuis le printemps dernier, et la parution de plusieurs décrets, la gestion du risque incendie incombe au Festival, lequel a dû embaucher plusieurs pompiers et acheter du matériel onéreux pour obtenir d’importantes dérogations et ouvrir en toute sécurité les espaces naturels. Malgré cette importante logistique, Tiago Rodrigues souhaite pérenniser l’utilisation de Boulbon lors des prochaines éditions.
Les metteuses en scène à la manoeuvre
Côté Cour d’honneur, les deux spectacles présentés, à l’exception de By Heart de Tiago Rodrigues, ont reçu un accueil mitigé de la part du public. Loin de regretter la programmation du spectacle de Julie Deliquet, Welfare, et de The Romeo du chorégraphe new-yorkais Trajal Harrell, Tiago Rodrigues met en avant « l’esprit du Festival d’Avignon », jalonné de paris risqués, de découvertes et parfois d’échecs. Rendant grâce à la programmation paritaire de cette 77e édition, les metteuses en scène se sont imposées comme les patronnes du plateau, capables de donner naissance à des spectacles hors des sentiers battus formels. Exceptions faites de Susanne Kennedy, d’Émilie Monnet et de Pauline Bayle, qui ont, chacune dans leur genre, largement déçu avec ANGELA (a strange loop), Marguerite : le feu et Écrire sa vie, Clara Hédouin et sa sublime balade théâtrale en compagnie de Jean Giono (Que ma joie demeure), Carolina Bianchi et son expérience scénique sous emprise (A Noiva e o Boa Noite Cinderela), Patricia Allio et ses conversation fertiles autour des politiques migratoires (Dispak Dispac’h), mais aussi Rébecca Chaillon et sa performance afro-féministe (Carte Noire nommée désir) ont bel et bien tracé les voies du théâtre de demain.
De façon plus attendue, mais néanmoins pleinement convaincante, Philippe Quesne, Gwenaël Morin (Le Songe), Julien Gosselin (Extinction) et Alexander Zeldin (The Confessions) ont su charmer, bousculer et/ou enthousiasmer leur monde, contrairement à David Geselson (Neandertal), Tim Crouch (An Oak Tree, Truth’s a Dog Must to Kennel) et Elevator Repair Service (Baldwin and Buckley at Cambridge) qui ont, à des degrés divers, raté le coche de cette 77e édition. Emmenés par Anne Teresa De Keersmaeker et son jouissif EXIT ABOVE, les chorégraphes ne sont pas en reste. Tandis que Mal Pelo (Inventions) et le tandem Michikazu Matsune–Martine Pisani (Kono atari no dokoka) ont semblé à la peine, Bintou Dembélé (G.R.O.O.V.E.), Mathilde Monnier (Black Lights) et Maud Blandel (L’oeil nu) ont, avec leurs propositions iconoclastes, largement rempli leur part du contrat.
La Comédie-Française et Caroline Guiela Nguyen au menu de la 78e édition
Quid alors de l’an prochain ? La 78e édition aura une saveur particulière en raison des Jeux Olympiques. Tiago Rodrigues et ses équipes ont dû adapter le calendrier du Festival, qui se tiendra du 29 juin au 21 juillet 2024, soit 23 jours au total, deux de plus qu’en 2023. Le Off, quant à lui, devrait probablement connaître la même situation et voir ses dates alignées sur celles du In. « On commencera avec une France entière encore à l’école », regrette Tiago Rodrigues. En effet, seuls les écoliers locaux seront en vacances afin de permettre la mise à disposition des établissements scolaires accueillant du public. En revanche, le Festival devra composer durant sept jours avec une majorité de spectateurs encore au travail ou à l’école. Une perspective inquiétante au regard de l’importance des recettes de la billetterie générant pas moins de 20% du budget du Festival. Afin d’équilibrer une équation économique toujours fragile, la direction souhaite augmenter la part du mécénat à 5% du financement total. Si le prix des places plein tarif dans la Cour d’honneur a augmenté cette année, celui des minimas sociaux et des tarifs jeunes n’a pas évoluer et devrait rester similaire l’an prochain. « L’idée est de ne pas punir le public », souligne Tiago Rodrigues.
Confirmant une tendance à l’œuvre depuis quelques années, la 78e édition du Festival d’Avignon comptera moins de spectacles. Cette année déjà, 44 pièces ont été présentées, contre 47 en 2022. Une réduction de la voilure qui, à en croire la direction du Festival, permettra au public de profiter plus longuement des œuvres et de vendre davantage de places. Si aucun lieu, ni aucune date de représentation n’ont encore été définis pour les artistes programmés, certains noms sont déjà confirmés – tandis que Tiago Rodrigues s’est refusé à en avaliser d’autres, pourtant insistants – : le metteur en scène argentin Mariano Pensotti sera le créateur du spectacle itinérant de la 78e édition ; Gwenaël Morin poursuivra son projet Démonter les remparts pour finir le pont ; l’artiste polonaise Marta Górnicka présentera sa pièce Mothers. A Song for Wartime, dont elle a fait une lecture ce dimanche 23 juillet ; et Caroline Guiela Nguyen donnera Lacrima, sa première création en tant que directrice du Théâtre National de Strasbourg (TNS), présentée au public alsacien du 14 au 18 mai prochain. Enfin, Tiago Rodrigues, en collaboration avec la Comédie-Française, montera Hécube d’Euripide, avec Elsa Lepoivre dans le rôle-titre.
Après l’anglais, la 78e édition se parera du chant mélodieux de l’espagnol. « Une langue européenne avec une présence globale », argue Tiago Rodrigues. Le directeur y voit un moyen de poursuivre une réflexion sur l’Europe et sur les tensions entre l’Espagne et l’Amérique du Sud, mais aussi de présenter au public français de jeunes artistes ou des artistes déjà établis peu connus en Europe. Espérons, alors, que le cru 2024 sera aussi fructueux que celui de cette année.
Kilian Orain (avec V.B.) – www.sceneweb.fr
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