Après son enchantant EXIT ABOVE, Anne Teresa De Keersmaeker reprenait En Atendant, une pièce créée il y a treize ans au Festival d’Avignon. Ce mariage entre la danse et le déclin du jour s’avère, contre toute attente, décevant et d’une âpreté presque désagréable.
Certains l’évoquaient comme un miracle ; En Atendant de la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersameker. C’était il y a treize ans, dans l’écrin du Cloître des Célestins. Sur un plateau sans décor, abrité par les deux platanes majestueux de l’abbaye avignonnaise, danseurs et musiciens venaient y célébrer la tombée de la nuit, avant de disparaître dans l’obscurité. La pièce s’inscrivait dans un diptyque, avec Cesena, créée l’année suivante, au lever du jour, dans la Cour d’Honneur. C’était il y a dix ans, et entre-temps ces pièces sont devenues cultes. La reprise d’En Atendant était ainsi particulièrement attendue. Certains souhaitaient y revivre l’expérience prodigieuse. Les autres, dont nous étions, désiraient simplement la découvrir de leurs propres yeux.
Mais les reprises sont parfois cruelles. À moins que ce ne soit la faute aux souvenirs, fallacieux… Ce soir-là, le miracle ne s’est pas produit au Cloître, en dépit de la maîtrise de son exécution, malgré la rigueur de l’écriture chorégraphique. Peut-être s’agissait-il d’un problème de timing, tout bête. Vers 22 heures et des poussières, au terme de la représentation, l’obscurité n’était pas totale à Avignon. Les danseurs et les danseuses ne nous ont pas laissé deviner, puis imaginer leurs ultimes mouvements, ce que l’on aurait souhaité. La pièce et les jeux de lumière semblaient désynchronisés. Même si les éléments ont tenu leur rôle, contrastant joliment avec l’extrême concentration des danseurs : un pigeon au bout du rouleau, prenant le risque de traverser la piste, des martinets piaillant en rase motte au dessus des platanes, les rumeurs des célébrations nationales du 14-Juillet, au loin.
Peut-être s’agissait-il, aussi, d’un problème de sensibilité, tout personnel. En Atendant est portée par une musique polyphonique datant du XIVe siècle, appelée l’Ars Subtilior, très raffinée sur le plan harmonique, mais assez monotone sur plan rythmique – celle-ci s’inscrit dans la noirceur d’une époque de troubles politiques et d’horreur pandémique, d’un temps où la peste noire faisait des ravages. Anne Teresa de Keersameker lui appose une danse très mécanique, accès sur la marche comme à son habitude, avec son fameux principe : « My walking is my dancing, my talking is my dancing. » Aux pieds des gradins, les artistes étaient martiaux. Guerriers, même, parfois. Toujours graves et sévères. Ainsi, cette danse sèche et saillante et cette musique complexe et contrapuntique semblaient se superposer, sans jamais s’épouser.
Un problème de sensibilité, tout personnel, encore une fois, donc, car il nous manquait une dimension charnelle et sensuelle pour nous séduire. Certains avanceront que ce n’est pas le style de l’artiste belge. Et ils auront sûrement raison. Pourtant, EXIT ABOVE, la dernière création de la chorégraphe présentée en première moitié de Festival, l’était bien davantage. Grâce au métissage des musiques (et à ce blues qui chaloupe, surtout), grâce à la jeunesse des danseurs et des danseuses aussi. En clair, En Atendant est trop âpre et contrasté à notre goût. Et peut-être étions-nous trop naïf : un même miracle ne se reproduit jamais deux fois.
Igor Hansen-Løve – www.sceneweb.fr
En Atendant
Chorégraphie Anne Teresa De Keersameker
Avec Boštjan Antončič, Sophia Dinkel, Carlos Garbin, Marie Goudot, Cynthia Loemij, Mark Lorimer, Sandy Williams, Sue-Yeon Younet Michael Schmid (flûte), et l’ensemble Cour et Cœur : Thomas Baeté (vièle), Bart Coen (flûtes à bec), Lieselot De Wilde ou Annelies Van Gramberen (chant, en alternance)
Direction musicale Bart Coen
Scénographie Michel François
Costumes Anne-Catherine Kunz
Créé en 2010 avec Boštjan Antončič, Carlos Garbin, Cynthia Loemij, Mark Lorimer, Mikael Marklund, Chrysa Parkinson, Sandy Williams, Sue-Yeon Youn
Direction des répétitions Fumiyo Ikeda
Assistanat pour la reprise Femke Gyselinck, Fumiyo Ikeda, Cynthia Loemij, Chrysa Parkinson, Michaël Pomero
Conseiller musicologique Felicia Bockstael
Direction technique Freek Boey assisté par Jonathan MaesProduction Rosas
Coproduction 2010 De Munt La Monnaie (Bruxelles), Festival Grec (Barcelone), Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Théâtre de la Ville (Paris), Festival d’Avignon, Concertgebouw Brugge (Bruges)Durée : 1h40
Festival d’Avignon 2023
Cloître des Célestins
du 14 au 25 juillet, à 20h15
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !