Dans l’intimité du théâtre des déchargeurs, Salomé Broussky met en scène cette pièce de Paul Claudel avec intensité et justesse.
C’est une pièce d’une noirceur infinie dont l’intrigue se raconte comme un polar. Au départ, il y a trois jeunes personnages ; tous convoitent l’argent d’un vieil homme peu recommandable. À l’arrivée, il y a un mort ; un parricide, forcément épouvantable. Mais l’horreur de cette histoire n’est pas tant causée par le crime en lui-même que par la façon dont Paul Claudel compose ses protagonistes et les tristes relations qui vont les unir – ou plutôt les désunir -. Il y a ce père âgé, carnassier et libidineux, qui voudrait jouir de son pouvoir jusqu’au bout. Son fils, endetté et amoureux, qui revient des colonies pour rembourser ses dus. Sa compagne, rusée mais frustrée, qui subit le joug d’un patriarcat moribond. Et une femme polonaise, promise au fils, fiévreuse et obstinée, en quête d’argent pour libérer son pays. Les jeunes feront tomber le vieil homme. Mais à quoi bon ? Ici, malgré les liens du sang et du désir, c’est chacun pour soi, pour le meilleur et surtout pour le pire. Ici, la réussite se solde par les compromissions de l’âme.
Cette affaire, rarement jouée, se donne sur la toute petite scène du Théâtre des Déchargeurs, à Paris. Le décor est minimaliste – quelques livres, un grand chandelier, une chaise à bascule, un crucifix retourné – ; de quoi se plonger dans l’époque du règne de Louis-Philippe ; les moyens sont précaires – aucun effet de lumière, on entend le son de la pluie par moments – et pourtant, tout est là : l’intensité des sentiments, le suspense de l’intrigue et la beauté de cette langue qui nous mène au naufrage de l’égoïsme.
La dimension du lieu, évidemment, participe au charme du spectacle. On a l’impression d’assister à une pièce en appartement ; comme si ces gens ne jouaient rien que pour nous. C’est un théâtre du gros plan, rare et délicat, qui se dévoile jusque sur les traits des visages et dans le fond des regards. C’est aussi le triomphe de la modestie, de la justesse et de l’intelligence d’une troupe dirigée par Salomé Broussky qui signe un travail remarquable. La metteuse en scène qui est aussi autrice – sa pièce Mademoiselle L avait été lue à la Comédie-Française en 2010 par Michel Favory – poursuit avec Claudel, son travail au plateau débuté en 2017 avec La Révolte de Villers de l’Isle- Adam.
Igor Hansen-Love – Sceneweb.fr
Le Pain Dur
Texte Paul Claudel
Mise en scène, décor, costumes Salomé Broussky
Jeu Marilou Aussilloux, Daniel Martin, Sarah Jane Sauvegrain, Etienne Galharague
Durée: 1h40
Les Déchargeurs
2 au 26 février 2022, du mercredi au samedi à 21h
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