Dans Nos solitudes, Delphine Hecquet tente de questionner les notions d’héritage et de transmission. Sa fiction familiale n’est hélas pas à la hauteur de cette ambition.
Depuis sa première création en 2015, Delphine Hecquet fait du théâtre un lieu d’exploration des silences du monde, de leurs causes et de la manière dont les hommes les comblent et les combattent. Dans Balakat, l’auteure et metteure en scène imaginait la naissance à l’écriture d’une détenue. Un spectacle qui, dit-elle dans le dossier de presse de Nos solitudes, sa nouvelle pièce créée à la Comédie, Centre Dramatique National de Reims dont elle est artiste associée, l’a menée vivre en Russie quelques mois. Les Évaporés (2017) abordait quant à lui le phénomène des disparitions volontaires au Japon, où l’artiste s’est rendue non seulement pour enquêter sur son sujet, mais aussi pour trouver ses comédiens. Elle s’intéresse aujourd’hui à une réalité beaucoup plus proche de la sienne et de la nôtre : celle de la solitude contemporaine. Sans vraiment traiter son sujet.
La scénographie de la pièce dit d’emblée le désir de Delphine Hecquet de créer des brèches oniriques dans un récit de facture hyperréaliste. Répandue sur le sol du plateau aménagé en intérieur typé années 70, avec salon, chambre et cuisine tout équipés, de la terre met le spectateur aux aguets. Dès que Marilou Aussilloux, Clément Clavel et Adrien Guiraud entrent en scène, avec l’air de qui retrouve un lieu familier quitté depuis longtemps, on se demande d’où viendra la catastrophe. Aussitôt après, une voix off présente les personnages et explique les circonstances de leur réunion : les trois comédiens incarnent des frères et sœurs, qui ont décidé de retourner dans leur maison familiale plusieurs années après la mort de leur père. Déjà lointain, ce malheur sera le seul du spectacle. La promesse de drame n’est pas tenue.
À travers une suite de flash backs, Nos solitudes propose une immersion dans l’histoire de la famille. Depuis la rencontre des parents (Chloé Catrin et Rodolphe Dekowski), jusqu’au décès du père, c’est une vie sans grands rebonds, sans secrets particuliers, qu’incarnent les cinq comédiens qui ont participé à l’écriture de la pièce à travers un travail de recherche au plateau. Car « partir de l’imaginaire des acteurs est une façon de faire de l’écriture une expérience, en confiant au hasard des propositions l’apparition d’un autre sens, celui de l’imagination ». Très visible dans les créations précédentes de Delphine Hecquet, cette recherche de l’inconnu, de l’inattendu est hélas absente de Nos solitudes. Sensés exprimer l’ineffable et le mystérieux, les passages chorégraphiques qui concluent la quasi-totalité des scènes ne rattrapent guère ce manque.
La réalité du vignoble bordelais – surtout l’utilisation des pesticides, dont le père finit par mourir – aurait mérité d’être davantage creusée. Plus solidement ancrée dans un contexte précis, la pièce aurait sans doute gagné en pertinence dans le traitement des relations familiales. Lesquelles sont ici tout à fait banales, et peu affectées par solitude que l’on s’attendait à trouver partout. Et qui n’est finalement nulle part.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Nos solitudes
Texte, mise en scène : Delphine Hecquet
Avec : Marilou Aussilloux, Chloé Catrin, Clément Clavel, Rodolphe Dekowski, Adrien Guiraud
Dramaturgie : Olivia Barron
Scénographie : Hélène Jourdan
Chorégraphie : Juliette Roudet
Lumières : Mathilde Chamoux
Son : Antoine Reibre
Costumes : Benjamin Moreau
Construction du décor : Les ateliers du Préau
Production : Dantès Pigeard
Régisseur général : Silouane Kohler
Stagiaire à la scénographie : Cindy Varin
Spectacle créé en janvier 2020 à la Comédie – Centre dramatique national de Reims.
Production : Cie Magique-Circonstancielle. Coproduction Comédie – Centre dramatique national de Reims, la Scène nationale du Sud- Aquitain, le Théâtre de L’Union-CDN du Limousin, l’OARA (Office artistique de la région Nouvelle-Aquitaine), Le Préau-CDN de Normandie-Vire, l’Odyssée, scène conventionnée de Périgueux, le Gallia théâtre à Saintes.
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national et le soutien de la DRAC Nouvelle-Aquitaine, de la région Nouvelle-Aquitaine, du Fonds SACD-théâtre, de La Chartreuse-CNES de Villeneuve-lès-Avignon, de l’OARA (bourse d’écriture), du théâtre de la Tempête, du CENTQUATRE-PARIS, de la Colline-théâtre national et de l’Odéon-théâtre de l’Europe. Avec le soutien de la SPEDIDAM.
Durée : 2h
La Comédie – CDN de Reims
Du 9 au 18 janvier 2020L’Odyssée – Scène conventionnée de Périgueux
Le 4 février 2020Théâtre de l’Union – Limoges CDN Limousin
Les 12 et 13 février 2020Scène nationale du Sud-Aquitain – Bayonne
Les 18 et 19 février 2020Le Préau – CDN de Normandie-Vire
Le 10 mars 2020Gallia Théâtre – Saintes
Le 1er avril 202
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