En 2015, Emmanuel Noblet crée la sensation dans le Off avec son adaptation de Réparer les vivants d’après le roman Maylis de Kerangal qui lui vaut ensuite le Molière du Seul en scène en 2017. Cette semaine il sera sur la scène des Amandiers à Nanterre dans Dissection d’une chute de Sara Stridsberg, avec Marie-Sophie Ferdane, dans la mise en scène de Christophe Rauck. Puis on pourra le voir en alternance dans la reprise de Zaï Zaï Zaï Zaï, d’après bande dessinée de Fabrice Caro au Théâtre de l’Atelier. Voici son interview Soir de Première
Avez-vous le trac lors des soirs de première ?
Je me fais croire que non mais c’est imparable. J’essaye de faire comme si j’allais en répétitions, je me dis que je vais travailler comme la veille et que ce soir, il y aura juste des spectateurs en plus dans la salle. En théorie ça ne change pas beaucoup mais, en pratique, il est impossible de déjouer toute la solennité alentour. Chaque membre de l’équipe du théâtre que vous allez croiser vous regarde avec plus d’insistance et appuie sur la question « alors, en forme pour ce soir ? ». La costumière n’est plus en jean, elle a mis un costume à elle et nous dit que c’est son dernier jour avec nous, demain elle s’en ira. Idem pour l’ingénieur du son et l’éclairagiste (mais sans effort vestimentaire). Dans la loge, devant le miroir, il y a des enveloppes à votre nom sur la table, avec des mots qui provoquent des émotions. Et les cadeaux de première de la part de la troupe ou du théâtre, souvent des fleurs qui transforment l’air que vous respirez, bref, tout nous rappelle que c’est un jour à part. Un jour important où il faut être à la hauteur des cadeaux, des fleurs et des promesses du travail. Ceci dit, plus mes partenaires ont le trac, moins je vais l’avoir. J’ai une gestion du stress à contrario : mon sang froid s’active quand ça devient bouillant autour.
Comment passez vous votre journée avant un soir de première ?
C’est toujours la course pour finir mes cadeaux de première. J’offre toujours la même chose : un album avec les photos que je prends depuis le premier jour des répétitions quand l’équipe se rencontre, jusqu’à la Générale. On voit toutes les étapes, les premiers jours au plateau, les leurres de décor et les costumes provisoires, puis l’arrivée des lumières, le dessin des scènes qui se précise, les complicité aussi et les moments de doutes, les notes autour du metteur-en-scène. J’ai beaucoup d’images que je finis de trier les derniers jours. Je les exporte sur une mini-clé USB pour chacun.e et j’en imprime sur du papier pour écrire au verso un mot personnalisé. C’est du boulot mais ce jour là ça me connecte aux autres et au spectacle, ça me renvoie à tous nos efforts pour arriver là. Et ça rend visible cette belle envie collective, l’envie de faire ça, juste jouer ensemble, créer un spectacle, chacun.e à son poste.
Avez-vous des habitudes avant d’entrer en scène ? Des superstitions ?
J’essaye de ne pas en avoir, de changer mon parcours de préparation pour ne pas tomber dans une superstition. Mais cette stratégie en devient quasiment une… Et de fait, c’est un peu toujours la même chose : un échauffement physique et vocal (des vocalises, des phrases du texte ou des exercices d’articulations, souvent une citation ridicule, prise à Belmondo dans « À bout de souffle » : « Pa pa pa pa pa… Patricia ! »). En général je reste au plateau jusqu’à la dernière minute avant l’ouverture des portes, comme un dompteur dans la cage avant l’arrivée des fauves… Sympa pour le public cette métaphore, non ? Mais c’est Fanny Ardant qui parle de la joie et de la terreur de jouer qui sont comme tomber dans la fosse aux lions, sachant qu’on va malgré tout en sortir vivant.
Et il y a bien sûr les précautions nécessaires, ce rituel d’élégances que recommandait Molière (ou Jouvet… ou un pote à moi qui le citait à peu près) : « crache, mouche, pète, rote, pisse, chie ! » (cette phrase répétée à grande vitesse marche aussi comme exercice d’articulation)
Première fois où je me suis dit « je veux faire ce métier ? »
Poussé par un ami, je passe le concours du Conservatoire de Rouen. J’y entre mais je n’ose pas aller vers ce métier, j’y vais par curiosité, sans m’autoriser vraiment cette perspective. Le professeur me fait sortir de moi un jour en travaillant du Victor Hugo et j’entrevois alors que sur un plateau on peut faire connaissance avec des inconnus en soi et aussi démultiplier la vie. L’accélérer… je me le formule comme ça ce jour là. J’entrevois cette magie à portée de main, il faut juste aller la chercher. L’idée de faire ce métier devient alors plus intéressante que tout autre chose.
Premier bide ?
Un sketch de café-théâtre à la Fac de Rouen. Dans la troupe universitaire il y a un garçon qui écrit des textes (dont des chansons françaises qui deviendront célèbres par la suite). Il m’avait écrit un sketch pour le début du spectacle, intitulé « Chauffage d’appoint ». Le principe était de faire un vide délibéré dès le début de la soirée pour chauffer la salle et que tout paraisse mieux après. Ça a très bien marché… un bide très réussi !
Première ovation ?
Les matchs d’improvisations devant des amphis bondés à la Fac. Il y avait à Rouen une super bande d’acteurs et actrices (qui continuent à faire ce métier). Cette mise en scène de jeu en impro, orchestrée par un arbitre avec une grosse musique d’ambiance ou un groupe en live, ça cartonnait auprès des étudiants qui souvent se levaient à la fin.
Premier fou rire ?
J’ai le souvenir du plus difficile à contenir, parce qu’avec le plus d’enjeux sous le regard de Catherine Hiegel et devant mille spectateurs à la Porte St Martin. François Morel jouait Monsieur Jourdain, moi Dorante qui venait lui soutirer de l’argent. Et un soir, au moment où il me donne cette bourse d’argent, il me glisse à voix basse une réplique à la Deschiens à propos de Plan d’Epargne Populaire. Il ne pensait pas me faire décrocher je pense, mais c’était horrible, j’ai fini la scène en apnée, les mâchoires serrées avant d’exploser en coulisses.
Premières larmes en tant que spectateur ?
« Une bête sur la lune » de Kalinoski mis en scène par Irina Brook. Simon Abkarian est ce Monsieur Tomassian (j’entend encore l’accent délicieux dans la voix de Corinne Jaber prononçant « Monsieur Tomassian’ ») qui cache sous sa puissance masculine une humanité en souffrance (enfin c’est le souvenir que j’en ai). Il craque à la fin et moi dans la salle, à 23 ans, je pleure pour la première fois au théâtre.
Première mise à nue ?
Au même âge, une nuit expérimentale dans un théâtre normand, sur le thème « les limites de l’érotisme ». On jouait à 23h des extraits de textes de Catherine Millet entre autres. Une comédienne racontait un fantasme avec un maître d’hôtel nu qui venait lui apporter de la nourriture sur son ventre (elle était enceinte), je ne portais rien qu’une serviette blanche sur le bras replié.
C’est marrant, votre question indique qu’il est évident que c’est arrivé, comme un passage obligé pour tout comédien.ne. Et c’est le cas, rares sont ceux (surtout celles !) qui l’évite. Mais c’est quand même une évidence qui interroge sur ce métier, non ?…
Première fois sur scène avec une idole ?
À défaut voici un souvenir précieux : la scène est un trottoir parisien à la sortie d’un théâtre. Jean-Louis Trintignant sortait de scène, son premier spectacle après le décès se sa fille Marie, des poèmes en musique. Ma soeur ainée m’avait offert ce spectacle et poussé à lui parler en le voyant à la sortie. Je lui avait dit quelques bravos maladroits, ajoutant que j’essayais de faire ce métier. Il avait dû sentir mon admiration sincère parce qu’il avait pris mes deux avant-bras dans ses mains, les avait serrés très fort en me donnant une secousse. Son geste était si fort. J’avais ressenti un réconfort puissant, un encouragement magnifique. Son geste me disait « tiens bon, ça finira par marcher ». Ça m’a donné de la force et un espoir en l’avenir. Le souvenir de ce geste agit encore sur moi.
Mais je n’ai pas joué avec une idole. D’ailleurs Romy Schneider ne joue plus beaucoup je crois et c’est bien dommage. En revanche, il y a beaucoup d’acteurs et d’actrices méconnus avec qui je rêve de jouer. Et ce soir c’est avec Marie-Sophie Ferdane que j’ai admirée dans beaucoup de spectacles.
Première interview ?
Celle dont je me souviens comme une véritable première interview c’était l’émission de Joëlle Gayot sur France Culture « Une saison au théâtre ». J’adorais cette émission, j’écoutais tous les invités, ça me faisait réfléchir, apprendre et grandir à l’écoute des gens de ce métier. Alors y être invité pendant une heure à mon tour c’était fou, impressionnant et valorisant.
Premier coup de cœur ?
Je pense aux scènes que je voyais travaillées au Conservatoire de Rouen par mes camarades de la classe d’art dramatique. On découvrait tout, les autres, les grands auteurs et le travail. On voyait des talents s’ouvrir, des évidences, des émotions. On tombe amoureux aussi avec tout ça. Les cours de théâtre c’est des coups de coeurs tous les jours.
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