Au Théâtre de la Tempête, Lazare Herson-Macarel transpose, avec l’aide de Chloé Bonifay, le chef d’oeuvre de Victor Hugo au XXIe siècle et révèle les visages des « nouveaux Misérables ».
Les grands textes n’effraient guère Lazare Herson-Macarel. Avec le Nouveau Théâtre Populaire, dont il est membre depuis 2009, le jeune metteur en scène a épinglé à son tableau de chasse nombre d’œuvres du répertoire, du Misanthrope de Molière au Cid de Corneille, d’Oedipe-Roi de Sophocle à La Paix d’Aristophane, en passant par Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac. Après avoir brillamment interprété Don Juan dans le cadre du remarquable triptyque Le Ciel, la Nuit et la Fête présenté par la troupe basée à Fontaine-Guérin lors du dernier Festival d’Avignon, le voilà qui s’attaque, en tant, cette fois, que codirecteur de la Compagnie de la jeunesse aimable, à un tout autre monstre littéraire, un monument patrimonial non essentiellement théâtral : Les Misérables de Victor Hugo. Sauf que, plutôt que d’adapter bille en tête cette fresque de la misère sociale du XIXe siècle, Lazare Herson-Macarel a pris le risque de lui faire subir un bond temporel de près de 150 ans et de la transposer, avec l’aide de Chloé Bonifay, dans la France d’aujourd’hui. Façon, pour lui, de s’intéresser, comme Hugo l’avait fait en son temps, à ses contemporains, de tenter de révéler les visages des « nouveaux Misérables ».
Pour construire ce voyage sur deux décennies, de 2001 à 2021, le dramaturge et metteur en scène n’a pas totalement jeté l’œuvre hugolienne par-dessus bord. Du texte originel, il a conservé l’essentiel de la trame, et surtout les relations et les caractères de chacun des personnages principaux, pour la plupart iconiques. A ceci près qu’il les a subtilement chargés de notre époque. Ancien prisonnier à la rue, poursuivi avec la même détermination par l’intransigeant Javert, désormais lieutenant de police, Jean Valjean devient, après avoir croisé la route d’un bon samaritain, avocat, défenseur à fonds perdus de la veuve et de l’orphelin ; Fantine est toujours cette femme abîmée par la vie et par les autres, mère célibataire et ouvrière en galère, contrainte de vendre tout ce qu’elle possède – cheveux, dents et corps compris – pour subvenir à l’appétit financier des Thénardier à qui elle a confié Cosette, sa fille. De leur côté, les deux bourreaux, installés en tant que tenanciers d’un bar-restaurant miteux où plus personne, mis à part quelques ivrognes de passage, ne met les pieds, n’ont rien perdu de leur pouvoir de nuisance, de leur art de la manipulation et de leur qualité de piètres parents, délaissant allègrement leur fils Gavroche et leur fille Eponine, qui ne tardera pas à tomber amoureuse de Marius, un étudiant rencontré à l’occasion d’une distribution d’aide alimentaire.
Car, bien plus qu’à une évolution, à la marge, des personnages, c’est bien à une révolution du contexte que Chloé Bonifay et Lazare Herson-Macarel se sont, en évitant soigneusement toute friction dommageable, attaché. Dans leur Misérables, les barricades se construisent aux portes d’un hôpital psychiatrique en crise, les précaires sont soumis autant à la pénibilité du travail à la chaîne qu’aux CDD à répétition, les étudiants sont contraints d’appeler à l’aide pour s’alimenter, quand les marchands de sommeil font la loi alors que le droit au logement, pourtant promis à tout un chacun, peine à être appliqué. Un pari osé, mais habilement réussi, qui, s’il n’échappe pas, parfois, à un propos légèrement appuyé, n’en dessine pas moins le portrait d’un nouveau prolétariat qui a peu à envier aux figures imaginées par Hugo lui-même. D’autant que, malgré la réécriture de fond en comble, la plume de l’auteur ne disparait pas totalement. A chaque scène, correspond une citation, toujours puissante, parfois touchante, extraite de l’oeuvre d’origine, qui cadre la narration autant qu’elle la renforce, et prouve que, s’il ne l’a pas suivi à la lettre, Lazare Herson-Macarel a bel et bien respecté l’esprit du texte et la philosophie de son auteur.
Sous-tendu par une construction dramaturgique fragmentaire, résultat d’un travail d’adaptation colossal, l’ensemble trouve alors un rythme naturel qui, près de trois heures durant et malgré des transitions un peu trop redondantes dans leur forme, ne souffre jamais de baisse d’intensité. A l’image du plateau en perpétuel renouvellement, de la terrasse des Thénardier à la chambre d’un hôpital du Kremlin-Bicêtre, du commissariat de police à l’hôtel miteux où Jean Valjean est victime d’un guet-apens, les comédiens, pour la plupart membres ou très proches du Nouveau Théâtre Populaire, sont constamment à la relance et alternent dans leur immense majorité les rôles avec une fluidité, une énergie et une aisance déconcertantes, à l’image d’Emilien Diard-Detoeuf en Gavroche vibrionnant. Bouleversante Fantine et émouvante Cosette, Claire Sermonne forme notamment un beau tandem humain avec Eric Herson-Macarel, taiseux Jean Valjean au grand coeur, tel le reflet inversé du couple Thénardier, dont Céline Chéenne et Abbes Zahmani paraissent se délecter. A la force de leur jeu, tous prouvent que Les Misérables ont encore une réalité, alors qu’on aimerait tant qu’ils appartiennent à une misère sociale passée et dépassée.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Les Misérables
Texte Chloé Bonifay, Lazare Herson-Macarel
D’après Victor Hugo
Mise en scène Lazare Herson-Macarel
Avec Philippe Canales, Céline Chéenne, Émilien Diard-Detœuf, David Guez, Sophie Guibard, Éric Herson-Macarel, Karine Pédurand, Claire Sermonne, Abbes Zahmani
Scénographie Margaux Nessi
Costumes Charlotte Coffinet assistée de Charles Chauvet
Lumières Jérémie Papin assisté de Théo Le Mentheour
Son Lucas Lelièvre assisté de Pierre Costard
Maquillage et coiffure Pauline Bry
Régie générale et plateau Marco Benigno
Collaboration artistique Chloé Bonifay, Philippe Canales
Collaboration chorégraphique Georgia IvesProduction Compagnie de la jeunesse aimable – Lazare Herson-Macarel, Lola Lucas
Coproduction Le Figuier Blanc – Argenteuil, Scène nationale du Sud-Aquitain – Bayonne, Théâtre Victor Hugo – Bagneux, Théâtre Jacques Carat – Cachan, Théâtre Edwige Feuillère – Vesoul
Avec l’aide à la création de la DRAC, la DGCA et la région Ile-de-France
En coréalisation avec le Théâtre de la TempêteLa Compagnie de la jeunesse aimable est subventionnée par la DRAC Ile-de-France, le département du Val d’Oise et la ville d’Argenteuil au titre de la résidence « Artiste en territoire » et par la région Ile-de-France au titre de la permanence artistique et culturelle.
Durée : 2h45
Théâtre de La Tempête, Paris
du 5 au 25 novembre 2021Le Tangram – Scène nationale, Evreux
du 9 au 11 décembreThéâtre municipal de Chartres
le 14 décembreThéâtre Edwige Feuillère, Vesoul
le 11 janvier 2022Théâtre André Malraux, Chevilly-Larue
le 14 janvierThéâtre Jean Arp, Clamart
du 20 au 23 janvierThéâtre Victor Hugo, Bagneux
le 27 janvierLe Figuier Blanc, Argenteuil
le 30 janvierThéâtre Jacques Carat, Cachan
le 2 févrierScène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne
les 9 et 10 février
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