Au Monfort, François Gremaud et Victor Lenoble privent le plateau de toute présence humaine et révèlent le pouvoir de l’imagination.
Il y a une certaine ironie à voir François Gremaud orchestrer une pièce sans acteur. Lui qui, au long de ses dernières créations – Phèdre, Auréliens, Giselle… –, n’a cessé de mettre ses interprètes – Romain Daroles, Aurélien Patouillard, Samantha van Wissen – au centre de son équation théâtrale. Confronté à cette remarque, le dramaturge et metteur en scène pourrait rétorquer qu’il est un artiste de défis, ce que l’on peut sans mal lui concéder ; il pourrait aussi objecter que cette idée n’est pas la sienne, mais celle de son compère Victor Lenoble, avec qui il avait déjà collaboré autour de Partition(s), une lecture performée de la correspondance que les deux hommes avaient entretenue à l’occasion d’un travail de recherche sur l’usage du mot « partition » dans les arts vivants. Cofondateur de l’Institut des Recherches menant à Rien (IRMAR), comédien de Philippe Quesne, Jean-François Peyret ou encore Gwenaël Morin, boulanger à ses heures perdues, le jeune bourguignon a donc voulu se passer des acteurs, comme Georges Perec l’avait fait en son temps avec la lettre « e » dans La Disparition, et voir si le spectacle vivant l’était toujours autant une fois privé des êtres qui habituellement l’animent.
Contrairement à Joris Lacoste qui, dans sa récente Suite n°4, avait fait l’expérience du plateau totalement nu, François Gremaud et Victor Lenoble l’investissent avec un duo de haut-parleurs. L’une à cour, l’autre à jardin, les enceintes à taille humaine diffusent les voix des deux artistes qui échangent autour de leur ambition créative, mais aussi des limites de leur projet qu’ils souhaitent transformer en spectacle « drôle, simple, émouvant, poétique et philosophique ». À la manière de chiens truffiers, ils ne tardent pas fouiller l’art dramatique en quête de leviers qui pourraient les y aider. Au gré de leurs élucubrations, souvent drôles, parfois cocasses, ils testent les surtitres, la musique et les lumières comme nouveaux canaux de communication, imaginent avoir recours à une basse-cour, et ne tardent pas inventer une histoire parallèle – celle d’une autre Pièce sans acteur(s) qui se jouerait, cette fois, avec des acteurs – et une fiction digne des plus mauvais contes, où une biche affolée tente d’échapper à une forêt en proie aux flammes.
Sous ses dehors absurdes, oulipiens oseront certains, cette proposition séduit dans sa façon de réussir son pari, d’animer un plateau qui, loin d’apparaître désespérément vide, semble intrinsèquement habité, et d’interroger, par la bande, ce qui fait théâtre et spectacle vivant. Mue par un procédé quasi-enfantin, elle redonne à l’imaginaire ses lettres de noblesse et stimule l’esprit de spectateurs de plus en plus habitués au prêt-à-consommer. Grâce à ce concours intérieur, excité par les voix à la fois douces et malicieuses de François Gremaud et Victor Lenoble, les enceintes, dotées d’une forme grossièrement humanoïde, paraissent prendre vie, et la biche entourée de fumée s’inviter sur ce plateau duquel elle est pourtant absente. Même si elle peut sembler un brin longuette une fois son principe acquis, cette partition, sous ses airs de ne pas y toucher, est de celles qui révèlent ce que le théâtre peut avoir de magique, mais aussi ce qu’il doit aux acteurs. Car, qu’importe leur poétique et le talent des metteurs en scène qui les « dirigent », les haut-parleurs ne remplaceront, et c’est heureux, jamais des êtres de chair et d’os.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Pièce sans acteur(s)
Création François Gremaud, Victor Lenoble
Collaboration artistique Séverine Besson, Léo Piccirelli, Antoine Surer, Kwok-Tung Kan, Sara Zazo Romero, Elena Diez del Corral Areta, Joël Maillard
Lumières Stéphane Gattoni – Zinzoline
Son Raphaël RaccuiaCoproduction 2b company, L’Arsenic – Centre d’art scénique contemporain (Lausanne)
Avec le soutien de l’État de Vaud, Ville de Lausanne, Loterie Romande, CORODIS, Pro Helvetia, fondation suisse pour la culture
Coréalisation Le Monfort théâtre (Paris) ; Festival d’Automne à ParisDurée : 1h05
Le Monfort Théâtre dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 30 novembre au 3 décembre 2022Théâtre Les Halles, Sierre
du 9 au 11 décembreThéâtre de Mende
le 25 mars 2023L’Echandole, Yverdon-les-Bains
le 28 avril
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