Sous la direction de François Gremaud, la danseuse se sert de la force de l’imaginaire pour redonner leur lettres de noblesse à toutes les composantes de ce ballet romantique par excellence.
Il suffit parfois d’un petit rien pour ouvrir un monde entier. De cet exercice délicat, François Gremaud est désormais coutumier. A Phèdre, le metteur en scène suisse avait adjoint un banal point d’exclamation pour créer Phèdre ! ; au prénom de l’astrophysicien Aurélien Barrau, il avait ajouté un simple « s » pour donner naissance à Auréliens. Dans un cas comme dans l’autre, sous leurs airs de ne pas y toucher, ces signes de ponctuation ou du pluriel se sont avérés hautement distinctifs, symboliques de la démarche intellectuelle de l’artiste qui, à partir d’un existant bien connu – la tragédie de Racine, la conférence écologique du célèbre scientifique, et bientôt le Carmen de Bizet –, se montre capable de décaler le regard pour offrir de nouvelles dimensions à l’œuvre première. Un coup de force qu’il réédite, en cette fin d’année, avec Giselle. Au titre de ce ballet romantique par excellence qui, depuis sa création en 1841, n’a jamais cessé d’être représenté, François Gremaud joint, cette fois, trois points de suspension, façon, pour lui, de créer un pont vers l’imaginaire et d’aller, avec sa Giselle…, au-delà, bien au-delà, de la pièce originelle.
Après Romain Daroles dans Phèdre ! et Aurélien Patouillard dans Auréliens, c’est au tour de Samantha van Wissen d’endosser le rôle de maîtresse de cérémonie dans un cadre scénique similaire. Et la danseuse, membre de la compagnie Rosas d’Anne Teresa de Keersmaeker, sous la direction de qui elle s’est produite notamment dans Rosas danst Rosas, Rain, Drumming ou encore Work / Travail / Arbeid, de prévenir d’emblée : « Giselle…– qui s’écrit avec trois points de suspension, c’est important – est un ballet contemporain, et plus précisément une comédie-ballet, qui met en scène une comédienne-danseuse qui, prétextant justement parler de ce ballet – un petit peu, si vous voulez, comme je le fais en ce moment – finit par en raconter, de façon plus ou moins engagée, un autre, considéré, celui-ci, comme l’un des chefs d’oeuvre du ballet romantique, je veux parler de Giselle – sans points de suspension cette fois-ci. » Un ballet dans le ballet, en somme, qui cherche à rendre grâce à l’ensemble des composantes de son aîné. Car, derrière la chorégraphie de Jean Coralli et de Jules Perrot, bien souvent, et logiquement, mise au premier plan, se cachent deux autres forces motrices qui nourrissent sa capacité d’envoûtement : la partition d’Adolphe Adam et le livret de Théophile Gautier et Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges, à qui l’entreprise de François Gremaud redonne toutes leurs lettres de noblesse.
En paraphrasant plus qu’en ne citant les auteurs d’origine, avec l’aide de Luca Antigani pour la musique et de Samantha van Wissen pour la danse, le metteur en scène suisse révèle leur audacieuse beauté individuelle, mais aussi ces forces qui intrinsèquement les relient, et stimule la mémoire des plus aguerris et l’imaginaire des plus néophytes qui pourront se créer leur propre Giselle. Telle une guide propulsée au rang d’experte ès romantiques, la danseuse, dont on découvre les talents de comédienne, développe, au long de son explication de texte et de contexte, et sans jamais être cuistre, une hauteur de vue sur le ballet qui, tout en plongeant dans ses arcanes, use d’un savant écart humoristique pour se moquer de ses aspects, musicaux, scénographiques comme textuels, les plus sirupeux et les plus mièvres. Reste que, à mesure que la pièce avance, et c’est là que réside une bonne partie de la puissance du spectacle de François Gremaud, Samantha van Wissen se laisse progressivement happer, comme prise au piège par son propre jeu. Soutenue par la folle énergie du quatuor de jeunes musiciennes qui l’accompagnent et qui, avec un violon, une harpe, une flûte et un saxophone, rivalisent avec nombre d’orchestres au grand complet, elle devient de plus en plus actrice et de moins en moins commentatrice de l’oeuvre qu’elle entendait décortiquer. A travers elle, sa grâce et son intensité, renaissent, alors Giselle, Albrecht, Myrtha, Hilarion et consorts, mais aussi la magnificence et l’émotion d’un ballet qui, avec ses fantômes et ses danses à mort, a tout d’un coffre aux trésors.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Giselle…
Concept et mise en scène François Gremaud
Avec Samantha van Wissen
Musique Luca Antigani d’après Adolphe Adam
Musiciennes interprètes Léa Al-Saghir, Tjasha Gafner, Héléna Macherel, Sara Antikainen, Sara Zazo Romero
Texte François Gremaud d’après Théophile Gautier et Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges
Chorégraphie Samantha van Wissen d’après Jean Coralli et Jules Perrot
Création lumières Stéphane Gattoni
Assistanat Wanda Bernasconi
Son Matthieu Obrist, Bart AgaProduction 2b company
Production déléguée de la tournée francilienne Festival d’Automne à Paris
Coproduction Théâtre Vidy-Lausanne ; Théâtre Saint-Gervais (Genève) ; Bonlieu scène nationale d’Annecy ; Espace Malraux, scène nationale de Chambéry Savoie dans le cadre du projet PEPS (Plateforme Européenne de Production Scénique)
Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris pour les représentations aux Abbesses
Avec le soutien de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia, du Programme PEPS de coopération territoriale européenne INTERREG V, de la Ville de Lausanne, du Canton de Vaud, de Loterie Romande, d’Ernst Göhner Stiftung, de la Fondation Leenaards, du Pour-cent culturel Migros Vaud et de la Fondation Suisse des Artistes InteprètesDurée : 1h50
Théâtre de Bastille
du 5 au 24 janvier 2023
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