L’historien et le metteur en scène s’adonnent à une tendre performance sur ce petit objet, à la fois kitsch et désuet. Façon pour eux de révéler, avec tact et douceur, la beauté des mondes disparus.
Elles se font appeler boules à neige, boules de neige ou boules neigeuses, et il suffit de les regarder de près pour comprendre comment Mohamed El Khatib et Patrick Boucheron ont pu se prendre d’affection pour elles. Il y en a des grosses et des petites, des originales – inspirées d’une position du Kamasutra ou du jeune Kadhafi – et des classiques – avec la statue de la Liberté, la tour de Pise ou la porte de Brandebourg –, des récentes et des antiques, mais toutes ont, malgré leurs différences, une similitude : leur kitsch assumé et leur touchante désuétude. Comme si leur raison d’être était de faire irrémédiablement retomber leurs observateurs en enfance. Disposées en périphérie ou au milieu d’un rond-point qu’El Khatib et Boucheron ont conçu pour elles, les voilà, le temps d’une soirée, au centre de tous les regards et de toutes les attentions, bien loin du rebord poussiéreux d’une cheminée où elles ont l’habitude de trôner.
Pour construire une performance sur ce drôle d’objet, le metteur en scène a emprunté une voie étroite qu’il connait bien, celle à mi-chemin entre le théâtre documenté et le théâtre documentaire, façon, pour lui, de tenter de rapprocher l’art et le réel. Parce qu’il n’était pas question de disserter sans substance, il est allé à la rencontre de savants témoins, tous chionosphérophiles, autrement dit collectionneurs de boules à neige. Installés aux quatre coins du monde, ils en possèdent chacun des milliers, voire une dizaine de milliers, et font parfois partie du cercle international des grands collectionneurs, un club très fermé avec un seuil d’entrée fixé à plus de 3 000 boules. Contrairement à certains de ses précédents spectacles, comme La Dispute ou Stadium, El Khatib n’a pas cru bon, cette fois, de mettre directement en scène ces témoins – dont la parole parvient uniquement via quelques capsules vidéo –, mais a préféré s’y coller lui-même, en tandem avec une personnalité, l’historien Patrick Boucheron.
Avec une simplicité habilement calculée, les deux hommes s’adonnent alors à une causerie sur l’objet qui les réunit. Après avoir tenté d’identifier la « boule à neige zéro » – une notion qui, dans son principe même, hérisse le poil de Patrick Boucheron qui, dans l’un de ses récents cours au Collège de France, tançait déjà l’idée de « patient zéro » –, le tandem ausculte méthodiquement, grâce à un dispositif technique simplissime, ce petit objet apparemment insignifiant, et c’est tout un monde qui s’ouvre. Se révèle une guerre sans merci entre les deux derniers fabricants français, JLK et Bruot, une différence de qualité très nette entre les boules made in Germany et made in China, mais aussi un tremplin pour accéder à une réflexion beaucoup plus globale. De digression en digression, d’anecdote en anecdote, le comédien et l’historien tissent, de proche en proche, une relation étroite entre l’objet boule à neige et le monde sous cloche qu’il représente, entre son pouvoir magnétique et les résonances propres à chacun qu’il contient, entre son caractère universel et son rapport à la disparition individuelle. Surtout, ils ne se laissent jamais enfermer dans leur rôle quotidien, l’un de professeur, l’autre d’artiste, et se confondent progressivement dans une seule et unique humanité, portée par leur belle complicité.
Alors qu’il a pu jouer, par le passé, avec certaines limites, Mohamed El Khatib mise cette fois sur la tendresse, et sur elle seule. Face aux chionosphérophiles qu’il a interrogés, il ne se laisse jamais allé ni au jugement stérile du bon ou du mauvais goût, ni à une condescendance qui pourrait virer à la moquerie. Il cherche uniquement à comprendre la passion de ces hommes et de cette femme, qu’on devine tantôt riches, tantôt modestes, et qui n’ont qu’un point commun, celui de ne pas avoir d’enfant. Douce, drôle et profonde à la fois, la démarche permet aussi aux deux hommes d’opérer un retour sur eux-mêmes : aux marottes historiques pour Patrick Boucheron, passionné par la valeur des traces que nous observons et que nous léguerons ; et à la question du deuil parental, chère à Mohamed El Khatib depuis son tout premier spectacle. Comme si ce drôle d’objet leur donnait à eux aussi l’occasion de « boucler la boule ».
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Boule à neige
Conception, texte et réalisation Mohamed El Khatib et Patrick Boucheron
Assistanat de projet Vassia Chavaroche
Scénographie Fred Hocké
Image Zacharie Dutertre
Montage Emmanuel Manzano
Son Arnaud LégerProduction Zirlib
Coproduction Malraux scène nationale Chambéry Savoie ; Théâtre National de Bretagne (Rennes) ; Le Grand T – Théâtre de Loire-Atlantique ; La Comédie de Saint-Étienne-CDN ; Équinoxe-Scène nationale de Châteauroux ; Points communs, nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise ; La Villette (Paris) ; Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris
Coréalisation La Villette (Paris) ; Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à ParisZirlib est conventionné par le ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles Centre-Val de Loire, par la Région Centre-Val de Loire, et soutenu par la Ville d’Orléans.
Mohamed El Khatib est artiste associé au Théâtre de la Ville-Paris et au Théâtre National de Bretagne (Rennes).Durée : 1 heure
La Villette, dans le cadre du Festival d’automne à Paris et de la programmation hors-les-murs du Théâtre de la Ville
du 15 au 26 juin 2021Malraux – Scène nationale Chambéry Savoie
les 29 et 30 juinMucem, en partenariat avec Actoral, Marseille
les 10 et 11 septembreLe Grand T, Nantes
du 30 octobre au 4 novembreThéâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence
les 9 et 10 décembreThéâtre national de Bretagne, Rennes
du 15 au 22 décembre
Une heure de bonheur….
Spectacle à voir sans hésiter !