Partie sur les traces de son « ethos politique » familial, l’autrice échoue à transmettre, avec limpidité, le fruit de son travail de recherche, et donne naissance à un millefeuille théâtral confus et maladroit.
Sandra Iché a osé. L’autrice et interprète s’est aventurée là où peu de ses homologues tentent habituellement de mettre les pieds, aux confins de l’histoire, de la sociologie et de la philosophie. Elle a tenté d’échafauder un spectacle qui élèverait le niveau du débat et donnerait matière à penser. Elle a essayé de rendre sa recherche sur l’« ethos politique » – soit cette manière d’être au monde et de l’envisager –, sur ce qui fait qu’un citoyen et une famille sont traditionnellement, voire héréditairement, de droite ou de gauche, la plus réflexive possible. Sauf que, disons-le tout de go, cette louable tentative l’a précipitée au fond d’une impasse.
Dans cette pièce qui a tout du laboratoire d’idées, elle s’est prise comme objet d’étude. Elle a remonté le fil de ses racines, jusqu’au temps de l’Algérie française, pour en savoir plus sur son arrière-arrière-grand-père, un dénommé Sauveur Carrus, d’où tout est parti. Alors que rien ne semblait l’y prédestiner, ce juif algérien est devenu l’un des plus fameux mathématiciens de son temps. Passé par Polytechnique – une prouesse à l’époque –, fait chevalier de la Légion d’honneur, ce républicain de la première heure a endossé les habits de professeur de mathématiques à l’Université d’Alger, jusqu’à ce que l’Etat français, en place à Vichy, ne lui retire, dans les années 1940, en raison de sa judéité, une bonne partie de ce qu’il avait pu construire.
Objet de la première partie du spectacle – intitulée « Sources » –, cette enquête généalogique réussit à retenir l’attention grâce l’investigation frontale qu’elle mène et aux éléments socio-biographiques qu’elle exhume, mais, rapidement, les choses se gâtent et se transforment en millefeuille indigeste. Au lieu de s’en tenir à cette quête unique, qu’elle aurait conduite jusqu’à son terme, l’ancienne danseuse de Maguy Marin a multiplié les pistes. Dans un élan dramaturgiquement confus, elle y mêle la vie de l’une de ses comédiennes, Virginie Colemyn, qui veut inverser le cours de son destin et s’approprier l’ethos de ses personnages. Tout en jouant le rôle d’une sorcière dans le Macbeth de Stéphane Braunschweig au Théâtre de l’Odeon, elle se pique de devenir, dans la vraie vie, cette historienne qu’elle devait incarner dans Droite-Gauche.
A cet enchevêtrement des parcours, déjà disparates, elle appose une couche purement théorique et se lance, au cours d’une seconde partie – « Récits » –, dans une analyse politique à la dialectique particulièrement retorse. Construite à partir de l’essai d’Emmanuel Terray Penser à droite, elle tente de faire le distinguo essentiel entre être de « droite » et être de « gauche », résumé à l’acceptation ou à la non-acceptation du réel comme fatalité. Le tout est supplanté par une tentative de théâtralisation maladroite. Sans que l’on comprenne franchement pourquoi, Sandra Iché veut faire croire au public que les trois chercheurs associés au projet – la sociologue Marjorie Glas, l’historienne Candice Raymond et le philosophe Frédéric Pouillaude – qui auraient dû être présents en plateau se sont, pour des raisons diverses, désistés, et qu’elle aurait été obligée de les remplacer, en urgence, par des comédien.ne.s. Le subterfuge est un peu gros, superfétatoire et ne fait qu’ajouter de la confusion à un ensemble qui n’en manquait déjà pas.
Loin d’être indigent, le propos de l’autrice ne passe, en réalité, pas l’épreuve de l’adaptation scénique. La metteuse en scène, qui ne lésine pas sur les explications de mots savants et tente de veiller à ne perdre personne en route, n’a pas trouvé le canal théâtral adéquat pour restituer, avec limpidité, le fruit de ses recherches. Tout se passe comme si elle n’avait pas su canaliser, mettre en relief et organiser le trop-plein de données, d’informations et de matière à penser qu’elle offre. Submergés par cette masse devenue critique, les spectateurs se retrouvent bien vite noyés dans une exploration qui, à trop ouvrir de champs, n’en clôt aucun. Sans rythme particulier, comme engluée dans un propos devenu trop lourd et foisonnant, cette pièce labyrinthique délègue aux comédiens un substrat complexe à manier dont ils ne se sortent jamais vraiment. Comme si, à trop avoir d’ambition, Sandra Iché et sa troupe s’y étaient malheureusement perdus.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Droite-Gauche
Auteure, danseuse, initiatrice du projet Sandra Iché
Auteure, comédienne, dessinatrice Lenaïg Le Touze
Conseiller artistique, directeur de jeu, comédien Renaud Golo
Artiste sonore Kinda Hassan
Vidéaste Margaux Vendassi
Eclairagistes Rima Ben Georgia ou Sylvie Garot
Auteure, comédienne Virginie Colemyn
Philosophe Frédéric Pouillaude
Sociologue Marjorie Glas
Historienne Candice Raymond
Artiste sonore Eric Lecoin
Ingénieur du son Emile BoudghèneProduction Association Wagons libres
Production et diffusion internationale Parallèle — Plateforme pour la jeune création internationale
Coproduction Parc de La Villette — Paris, Pôle Arts de la Scène — Friche la Belle de Mai, Nouveau Théâtre de Montreuil, Réseau projet européen, PACT Zollverein — Essen, Théâtre Joliette — Marseille, Théâtre La Passerelle — Scène nationale des Alpes du Sud – Gap, PARTS — Bruxelles dans le cadre du projet européen [DNA]
Avec le soutien de la DRAC Rhône-Alpes, Fonds TransFabrik — fonds franco-allemand pour le spectacle vivant, Regards et Mouvements — Superstrat
Aide à la résidence Fondation Camargo — CassisCe travail est réalisé dans le cadre du laboratoire d’excellence LabexMed — Les sciences humaines et sociales au cœur de l’interdisciplinarité pour la Méditerranée portant la référence 10-LABX-0090. Ce travail bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la recherche au titre du projet Investissements d’AVENIR A*MIDEX portant la référence : n°ANR-11-IDEX-0001-02.
Remerciements à Jérôme Carrus, Pierre Carrus, Christophe Charpentier, Pierre Cosar, Jean-Pierre Détrie, Nelly Flecher et Radio Grenouille, Alain Frap paz, Didier Guignard, Jean-François Iché, Laurence Iché-Brun, le film Pater d’Alain Cavalier, Benjamin Stora, David Vainsot, la Friche la Belle de Mai, LA ZOUZE—Cie Christophe Haleb, Association Mot à Mot, Compagnie L’Art de Vivre.
Durée : 1h50
MC93 Bobigny
du 21 au 29 février 2020
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