Dans À cheval sur le dos des oiseaux, une maman bancale tente de conserver la garde de son bébé. Le texte de Céline Delbecq colle à la peau de la merveilleuse Virginie Colemyn que les metteurs en scène Pierre Germain et Pauline Hercule déplacent par instants du côté du fantastique. Comme une politesse.
Ne pas se fier à ce titre, À cheval sur le dos des oiseaux, bien plus suranné que le texte, tout comme Bird ne rend pas complètement compte de la puissance du film majeur d’Andrea Arnold sorti en ce début d’année. Pourtant, les animaux sont au cœur de ces récits âpres de gens à qui la pauvreté a été livrée comme un fardeau dès la naissance. Dans le monologue de la Belge Céline Delbecq, lauréat des Journées de Lyon des Autrices et Auteurs de Théâtre en 2021, le titre renvoie au rêve de son personnage : s’envoler à cheval sur le dos des oiseaux pour que le monde lui appartienne vu d’en haut, tout comme la jeune Bailey observe tous les oiseaux pour se libérer de l’environnement junkie et violent où elle grandit. En regardant ces bêtes volantes, toutes deux trouvent la force de s’extirper du marasme. C’est affaire de société – il y eut les défaillances des aides à l’enfance et le poids des ascenseurs sociaux bloqués –, mais aussi d’imaginaire. Puisque nous sommes ici au théâtre, tout est permis, y compris de lorgner d’emblée vers le fantastique quand l’ouverture de la pièce se fait par la traversée de jardin à cour, en fond de scène et à pas forcés avec bruits de talons, d’un humain-poule, gloussement (un seul) compris.
C’est en fait Pauline Hercule, co-metteuse en scène de ce spectacle avec Pierre Germain. Elle va occuper la scène derrière ses machines – synthétiseur analogique et numérique et minimoog façon Pink Floyd – et des objets d’enfants pour créer la bande-son – imaginée avec Mathieu Ogier – en direct et bruiter ce spectacle. C’est bien plus qu’un accompagnement musical qu’elle fait là. Elle structure le texte, invente l’univers mental du personnage avec les sons des balbutiements de l’électro. Vêtue d’une veste militaire à épaulettes frangées, elle semble être un soldat de plomb de jeu d’enfant augmenté et grimé d’un masque vénitien – qu’elle enlève en cours de route, mais pourquoi ? Ce n’est pas que Virginie Colemyn a forcément besoin de s’appuyer sur elle – elle a longtemps travaillé avec Gwenaël Morin et son théâtre permanent exigent et nu –, mais cet équipage apparait comme un semblant d’humanité, le seul auquel son personnage, « mal né », semble avoir droit. Issue du monde ouvrier, l’incroyable comédienne a fait son parcours théâtral sans codes, poussant les portes de la classe libre du Cours Florent, puis de l’École Jacques Lecoq, entrant dans son Graal de théâtre, le Soleil, où elle est restée cinq années – Le Dernier Caravansérail, Les Éphémères. Dernièrement, elle est au cœur du travail de Stéphane Braunschweig.
Dans À cheval sur le dos des oiseaux, elle n’arrive d’abord pas à parler, émet des sons d’une voix éraillée. Il est question de son fils, qui dort contre elle. « La dame [de l’assistance sociale, NDLR] dit qu’il ne faut pas dormir avec », mais « j’en fais qu’à ma tête, je le prends contre ». Ce vocabulaire et ses phrases évaporées rendent justice à cette Carine Bielen, qui a fabriqué ce petit Logan avec un homme dont elle se souvient à peine : ils étaient ivres. Le petit est devenu sa raison de vivre quand ses parents ont disparu, quand ses frères et sœurs, pour partie placés en famille d’accueil comme elle, sont morts prématurément. Ce n’est pas que le cycle de la misère soit fatal, mais tout de même. Sans accuser frontalement les pouvoirs publics, il est évident que l’autrice considère qu’il ne suffit pas de traverser la rue pour que sa condition change. Alors, tant pis si la séquence du passage à la caisse chez Aldi pour acheter un fromage à 79 centimes est un tantinet appuyée ; le reste ne l’est jamais. Car il est question de dignité, de politesse et de lucidité, « l’alcool c’est bon, mais ça fait de la misère ». Les phrases se répètent parfois comme si le personnage prenait la mesure de sa vie cabossée, entre le placement dès l’enfance, les tests de QI qui la définissent et l’orientation vers un cursus scolaire « handicapé ».
Alors, avoir cet enfant c’est aussi accéder à une émotion universelle quand on l’appelle maman et quand les gens dans la rue ne la bousculent plus, mais lui adressent des sourires car il est là. « Je suis bien, on est bien ». Parfois, elle l’oublie dans son logement social, le pensant encore dans son ventre, s’assoit dessus ou lui casse un bras par inadvertance. Si le jeu de Virginie Colemyn met quelques minutes à se trouver – un chouïa maniéré, mais c’est une première représentation –, il se déploie très rapidement dans toute sa singularité. La comédienne parvient à lui donner sa pointe de folie – au sens d’assumer ses émotions et de ne pas les adapter à l’auditoire –, son audace. Elle lorgne vers le clown avec des expressions de visage très dessinées et un rythme dicté en partie par les « / », « // », « /// » que distille l’autrice dans son texte. Parmi les dossiers échoués au sol, ceux du bureau de la juge, elle s’invente parfois des danses devant son micro-pied, court à travers la salle, passe derrière le gradin, agrandit l’espace, cherche de l’air qu’elle trouve aussi dans la forêt d’origamis qui prend forme comme par magie grâce au travail de papier plié de la musicienne Angélique Cormier. Se détachant du réalisme loachien, elle trouve la voie et des nuances de voix pour offrir à son personnage toutes les libertés auxquelles il aspire.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
À cheval sur le dos des oiseaux
de Céline Delbecq
Mise en scène Pauline Hercule, Pierre Germain
Avec Virginie Colemyn
Musique et bruitage Pauline Hercule
Éléments scéniques François Dodet
Scénographie de papier Angélique Cormier
Lumière Lucas Collet et Michel Abdallah
Composition musicale Mathieu Ogier et Pauline Hercule
Son Amaury Dupuis et Florent Mallet
Costumes Agathe Trotignon
Construction Marc Cassar
Stagiaire à la dramaturgie Manon GarnierProduction Germ36
Coproduction Théâtre National Populaire
Soutien Théâtre de RoanneLa Compagnie Germ36 est soutenue par la Ville de Lyon et reçoit le soutien de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes – ministère de la Culture et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Le texte est lauréat des Journées de Lyon des Autrices et Auteurs de Théâtre en 2021 et a reçu le Prix Espiègle de théâtre en langue française de la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2024. Il est publié aux éditions Lansman.
Durée : 1h
TNP, Villeurbanne
du 10 au 23 janvier 2025
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