« Il n’y a pas aujourd’hui de volonté de régler le problème des violences policières » : Kery James, l’une des plus grandes voix du rap français, revient sur ce sujet inflammable, sur scène, dans un dialogue militant entre un juge et un avocat dans A huis clos avec Jérôme Kircher. Une pièce mise en scène par Marc Lainé.
C’est surtout dans la musique qu’on a pu entendre l’engagement de ce rappeur de 45 ans, dénonçant depuis vingt ans « le plafond de verre psychologique » pour les jeunes de banlieue, le passé colonial de la France ou défendant les « oubliés de la République ».
Pour autant, il aime décliner son message. En 2017, il monte A vif, une première pièce, dans laquelle deux élèves avocats, l’un noir, venu de la banlieue, l’autre blanc, issu d’un quartier aisé, passaient un concours d’éloquence. « La question qui leur était posée était – l’État est-il seul responsable de la situation actuelle des banlieues ? –», rappelle Kery James à l’AFP.
Aujourd’hui, son dialogue, A Huis-Clos, se veut comme une suite : Soulaymaan Traoré, devenu avocat (Kery James) prend en otage un juge, Nicolas (Jérôme Kircher), l’accusant d’avoir influence le jury dans l’acquittement du policier ayant abattu son frère Demba d’une balle dans le dos. « Vous avez envoyé un message clair aux policiers: « vous pouvez tuer ces Français de seconde zone, nous couvertureons » », lance-t-il au juge, séquestré dans son luxueux cabinet. Le juge dément, argumente, concède. Le jeu des personnages est dupliqué sur un écran au-dessus de la scène, dans un jeu de champ/contre-champ permis par une caméra circulaire sur le plateau.
Dans la bouche de Soulaymaan, il y a la dénonciation des contrôles au faciès, ces « exercices de soumission », le postulat du « caractère systémique de la violence » policière, la tristesse que « l’histoire se répète ». « Ce que certains ont appelé les émeutes de 2005 – et d’autres les révoltes – n’a pas empêché la mort du jeune Nahel avant vingt ans plus tard », lance l’avocat avec colère, faisant référence à ce jeune de 17 ans. tué par un policier lors d’un contrôle routier fin juin, provoquant une semaine de violences urbaines en France.
« Je parle de Nahel dans la pièce, forcément », puisque je traite de (la question des) violences policières », estime Kery James, essentiellement après une représentation qui se tenait, justement, à Nanterre, où a eu lieu le drame. « Il n’y a pas aujourd’hui (de) volonté de régler (ce) problème », dit-il fustigeant une loi de 2017 qui détermine notamment les conditions d’ouverture du feu des policiers en cas de refus d’obtempérer.
De son vrai nom Alix Mathurin, Kery James, fils de parents haïtiens qui a grandi en Guadeloupe puis à Orly, ne cesse d’opposer deux France. « Mais le mais est toujours de construire des ponts et d’humaniser l’autre », assure-t-il. « Le dialogue à lui tout seul ne pourra changer la donne, mais c’est la première étape », disait-il à son public nanterrien, entièrement acquis. Comme Salim Bouhafsi, enseignant à Longjumeau (Essonne), 44 ans. « Je pense que Kery James a réussi à mettre la lumière sur des vrais points ».
Ulysse Boulestin, professeur de théâtre à Nanterre, a aimé cette « union entre les deux personnages qui n’avaient rien pour se comprendre. Des gens trouveront ça trop marqué, pas assez tempéré, mais ça respirait les tripes, au moins là-dessus c’est réussi ».
« Il devrait jouer (la pièce) dans des lieux moins acquis, pour voir à quel point ce propos est percutant », fait-il remarquer.
Autres déclinaisons du message du rappeur : son deuxième film, Banlieusards 2, sorti fin septembre sur Netflix qui a mis en scène une nouvelle fois Soulaymaan, l’élève avocat, aux côtés de ses frères, Demba et Noumouké. Kery James est acteur, scénariste et coréalisateur de cette suite qui cartonne sur la plateforme de streaming. Enfin un album est prévu pour la fin de l’année.
Karine Perret © Agence France-Presse
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