Le performer et metteur en scène suisse Yan Duyvendak propose un escape game collaboratif où le public doit libérer un spectacle. Expérience passionnante sur les capacités de coopérations à l’aube d’une ère où il faudra agir en communautés, Twist fait vivre à son public une heure d’action intergénérationnelle en société horizontale.
Après Virus, où ils demandaient au public de prendre les commandes d’un gouvernement pour combattre une pandémie (jeu imaginé avant le Covid), Yan Duyvendak et son équipe lancent un escape game collaboratif très simple sur le principe. Dans Twist, un metteur en scène déçu par ses échecs répétés a enfermé les interprètes et les décors de sa pièce. Il revient au public de les libérer. Avec des énigmes à résoudre comme dans un véritable escape game. Mais surtout l’obligation que cette micro-société d’une soixantaine de spectateur.trice.s fasse œuvre commune, arrive à s’organiser et à s’entendre pour trouver la solution en moins d’une heure.
Comment des gens qui ne se connaissent pas peuvent-ils s’organiser et faire œuvre commune en si peu de temps ? Comme pour Virus, l’artiste suisse a confié la tâche de concevoir le jeu à Corentin Lebrat et Théo Rivière de la société Kaedama, game designers comme on dit, spécialistes du genre. Énigmes qui se font écho et ne se résolvent qu’ensemble, jeux de construction – puzzles et casse-têtes en 3D – de logique, indices visuels et autres coffres fermés par des cadenas à codes secrets constituent les étapes à franchir pour libérer le spectacle. L’ensemble est ponctué de tâches de groupes à effectuer, du genre sauter exactement tous ensemble, et d’une dramaturgie visuelle qui fait passer d’un monde tout jauni à un univers haut en couleurs vives, entre jeu vidéo pour enfants, et Venise d’hier avec lais de tissus qui tombent des cintres et chapeaux et capes en feutre. Installé en haut dans la régie, Yan Duyvendak est celui dont il faut renverser le pouvoir (vertical). Avec deux guides du jeu, pseudo-comédiens enfermés dans leurs boîtes sur scène, qui distillent des indications fléchant un tant soit peu les progrès de la résolution, c’est la collaboration (horizontale).
Plus qu’un jeu, Twist propose ainsi une expérience. Il faut s’organiser avec des inconnu.e.s, se trouver une place, un rôle dans la communauté qui naît, selon ce qui se présente, ses qualités, ses limites. On y a observé pour notre part le développement presque magique d’un travail en commun. Car très vite, ce jour-là, les informations circulent, les participant.e.s se concertent, proposent leur aide, imaginent ensemble des solutions. Une petite société intergénérationnelle se constitue – les participants sont adultes et ados-enfants à partir de 10 ans – où les plus jeunes peuvent être les plus utiles et celleux qui d’ordinaire décident se retrouver plus largués. Des rapports sens dessus dessous viennent ainsi nous rappeler combien ceux auxquels nous nous astreignons sont arbitraires et figés. Une véritable petite utopie se met en place et questionne profondément les rapports sociaux dans lesquels nous sommes installés.
Le jeu au théâtre n’est pas une forme inédite. Yan Duyvendak avait d’ailleurs travaillé avec Roger Bernat qui en concoctait de très intéressants. Avec lui, il avait créé Please continue Hamlet qui depuis quelques années partout en Europe fait improviser des membres de l’appareil judiciaire dans un vrai faux procès du héros de Shakespeare accusé du meurtre de Polonius. Il s’agit pour l’artiste suisse de travailler sur le rapport entre le public et l’œuvre dans une logique d’empowerment qui donne aux spectateur.trice.s du pouvoir sur un réel que d’ordinaire on ne fait que trop subir. Twist dont la forme simple et intergénérationnelle est particulièrement efficace a aussi le charme de ces œuvres qui font venir d’autres publics au théâtre. Dans la salle des Subsistances à Lyon, prêtée pour l’occasion au Théâtre Nouvelle Génération qui recevait le spectacle, c’était le cas. Interroger nos manières de faire société passe aussi par là. Twist tord décidément avec délice les schémas habituels de nos salles et organise une libération du théâtre tout aussi réelle que symbolique.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Twist
Directeur artistique Yan Duyvendak
Développeurs de jeu Kaedama (Corentin Lebrat et Théo Rivière)
Guides du jeu et collaborateurices artistiques Delphine Abrecht, Jean-Daniel Piguet
Guides du jeu en alternance Danaé Dario, Yan Duyvendak, Lionel Perrinjaquet
Collaboratrice artistique et scientifique Cindy Coutant
Consultante adolescente Teresa Ferrari
Créateur musique Théo Pozoga
Créateur lumière Stéphane Leclercq
Concepteur des puzzles Pierre Szczepski
Conceptrice des costumes Safia Semlali
Constructeur scénographie Gaël Grivet
Aide à la construction scénographique Machteld Vis
Direction technique Luca Kasper et Stéphane Leclercq
Conseiller artistique Nicolas Cilins
Administration et finances Marine Magnin
Production créative, communication et diffusion Charlotte Terrapon
Production des tournées Colette RaessDurée : 1h10 environ
Jusqu’au 25 février 2023 aux Subsistances à Lyon (TNG hors les murs)
30 mars et 1er avril 2023
La Rose des vents à LilleDu 24 mai au 3 juin 2023
théâtre de Vidy-Lausanne
On se demande néanmoins si la personne qui édicte les règles d’un jeu, auxquelles se soumet un groupe de personnes, n’enferme pas le théâtre dans une fonction ludo-éducative forcément tendancielle, transformant le moment de la représentation (d’un imaginaire possiblement questionnant) en atelier socio-culturel.