Selon son procédé de la « parole accompagnée », Didier Ruiz met en scène dans Trans (més enllà) des personnes transgenres. Et se fait ainsi le délicat passeur d’une parole marginalisée, à l’honneur cette année au Festival d’Avignon.
Si toute vie est faite de métamorphoses, les leurs sont non seulement plus visibles, mais aussi plus douloureuses que la moyenne. Nées hommes, Clara, Sandra et Leyre ont ressenti le besoin de devenir femmes. Tandis que, nés femmes, Neus, Danny, Raúl et Ian sont à présent hommes. Dans Trans (més enllà), ils racontent leur parcours dans une structure chorale conçue par Didier Ruiz, qui les a rencontrés à Barcelone en 2014. Et qui a recueilli leurs témoignages comme il le fait avec sa Compagnie des Hommes depuis Dale Recuerdos (Je pense à vous), créé pour la première fois en 1999 et régulièrement repris avec de nouvelles personnes âgées. Mosaïque de petits moments d’existences transgenres, cette pièce de Didier Ruiz est un moment de partage loin du bruit et de la fureur du Thyeste de Thomas Jolly qui a ouvert le festival.
Quand Raúl entre en scène, on s’attend à recevoir d’emblée le témoignage d’un mal-être, ou le récit d’une transition. Au lieu de quoi, en quelques phrases, c’est un conte bien connu qui nous est offert : celui du Vilain petit canard. Une manière simple et subtile pour Didier Ruiz d’enraciner sa pièce dans un socle de culture commune. De refuser l’exotisation d’une parole marginalisée par la société, de même que toute trace de pathos. Comme le petit canard victime de toutes les cruautés qui finit par devenir cygne, les sept personnes qui disent leur changement dans Trans (més enllà) ont trouvé leur équilibre au bout d’un chemin semé de doutes. Après Une longue peine, où il mettait en scène des ex-détenus, Didier Ruiz poursuit ainsi un geste de création et de critique visant, selon ses propres termes, à « changer une société intolérante qui a oublié de parler d’amour ».
Un idéal qui rappelle celui de Milo Rau, présent à Avignon avec l’excellente création La Reprise – Histoire(s) du théâtre (I), pour qui « il ne s’agit plus seulement de dépeindre le monde. Il s’agit de le changer. Le but n’est pas de représenter le réel, mais de rendre la représentation elle-même réelle[i] ». Ce qui questionne forcément la nature des récits qui nous sont livrés, et le rôle du théâtre dans une société qui discrimine tous ceux qui s’écartent de la norme. Âgés de 22 à 60 ans, issus de milieux socio-professionnels très divers, Clara, Sandra, Leyre, Neus, Danny, Raúl et Ian troublent les codes de la représentation autant que ceux du genre. Avec eux, Didier Ruiz réussit à questionner les rapports de la scène au réel sans jamais en formuler l’intention. Laissant au spectateur toute liberté de s’emparer ou non du problème.
Malgré de brefs intermèdes de vidéos sans intérêt, et les sous-titres qui ont tendance à figer les monologues pleins de heurts et de silences, Trans (més enllà) est traversé par l’urgence de dire. De se construire un langage à soi, en harmonie avec le corps choisi. C’est là que les problématiques de l’acteur rejoignent celles du transgenre. Là où le théâtre de Didier Ruiz dialogue le plus intimement avec le monde.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
TRANS (més enllà)
Avec Neus Asencio Vicente, Clara Palau i Canals, Daniel Ranieri del Hoyo, Raúl Roca Baujardon, Ian de la Rosa, Sandra Soro Mateos, Leyre Tarrason Corominas
Mise en scène Didier Ruiz
Collaboration artistique Tomeo Vergés
Scénographie Emmanuelle Debeusscher
Lumière Maurice Fouilhé
Musique Adrien Cordier
Animations visuelles élèves des Gobelins l’école de l’image
Assistanat à la mise en scène Monica BófillProduction La compagnie des Hommes
Coproduction Teatre Lliure (Barcelone), Châteauvallon Scène nationale, Le Channel Scène nationale de Calais, Arpajon – La Norville – Saint-Germain-lès-Arpajon, Festival d’Avignon, Fontenay-en-Scènes, Le Grand T théâtre de Loire-Atlantique, Théâtre de Chevilly-Larue, Théâtre de l’Agora Scène nationale évry Essonne, La Filature Scène nationale de Mulhouse et pour le surtitrage multilingue : Théâtre de Choisy-le-Roi Scène conventionnée – Panthea
Avec le soutien de Institut français, Fondation Un monde par tous, sous l’égide de la Fondation de France et pour la 72e édition du Festival d’Avignon : Adami
Durée: 1h1072e édition du Festival d’Avignon
Gymnase du lycée Mistral
Du 8 au 16 juillet sauf le 12 à 22h
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