Fermée depuis septembre 2023 pour travaux, la grande salle du TNG Vaise – CDN de Lyon rouvre ses portes alors que son directeur Joris Mathieu arrive au terme de son troisième et dernier mandat. Visite des lieux et regard dans le rétroviseur sur cette décennie dédiée aux formes numériques, technologiques et immersives en direction de la jeunesse.
Après avoir reçu quelques visiteurs le samedi 15 mars en matinée dans la grande salle du TNG, place aux spectacles pour un week-end d’ouverture festif les 21, 22 et 23 mars. Deux spectacles – Diorama de la compagnie belge Hanafukubi et De et par la possibilité éventuelle des devenirs envisageables des franco-suisses des Trois Points de suspension et de 3615Dakota –, des ateliers d’illustration, un live Twitch… Le TNG, situé dans le quartier lyonnais de Vaise, retrouve son public. Le lieu, théâtre des jeunes années sous la direction de Michel Dieuaide et Maurice Yendt, devenu Théâtre Nouvelle Génération sous celle de Nino D’Introna en 2004, dispose désormais d’un plateau et d’une cage de scène conformes aux standards les plus récents en la matière : 20 perches pouvant tracter 350 kg chacune, la suppression du rideau de fer situé à trois mètres en arrière du bord plateau, ce qui rendait cette partie inutilisable, des améliorations phoniques et d’isolation, un toit végétalisé, des attaches pour les agrès de cirque sur ce sol en triplite – trois couches de bois empilées –, et surtout l’extension de 70 m² du plateau, dont le côté cour était jusque-là de biais.
Ce bâtiment a été conçu dans les années 1930 par Michel Roux-Spitz, le même architecte que le Théâtre de la Croix-Rousse, et tous deux étaient des salles des fêtes dont la fonction spectacle n’était pas première. Grâce à la très bonne coordination des tutelles et financeurs – de la DRAC à hauteur de 1,5 million d’euros et de la Ville de Lyon à hauteur de 3,1 millions d’euros –, cette première phase de travaux a pu s’enchainer avec une seconde consistant à dissocier la salle de son atrium, désormais complètement clos et autonome. Cet espace de 130 m² peut accueillir jusqu’à une centaine de personnes et pourra servir en journée à des ateliers de pratiques artistiques et des rencontres, sans gêner les répétitions se déroulant sur le grand plateau. Ce sont deux changements majeurs pour ce théâtre dont les 480 sièges ont déjà été changés en 2019 sur l’une des plus fortes inclinaisons de salle en France – 22%. Désormais, ils peuvent tous être utilisés – la bizarrerie du plateau de biais ne permettait d’assurer une bonne visibilité que depuis 300 places. Joris Mathieu, directeur jusqu’au 30 juin prochain, se réjouit que le TNG possède ainsi une très bonne « conjugaison entre un espace scénique aussi grand et de cette qualité de lien avec le public ».
La coupe sèche de la Région
Ravi de transmettre un si bel outil propre à la création grand format – avec des scénographies plus imposantes, des distributions plus nombreuses… et des coûts en conséquence – à ses successeurs·es, le metteur en scène n’en reste pas moins inquiet sur la capacité et la volonté de certaines tutelles à accompagner les artistes pour jouir pleinement de ce théâtre qui compte deux lieux géographiques : celui situé dans le quartier de Vaise donc, le 9e arrondissement de Lyon, avec cette salle flambant neuve et une autre de 90 places ; et celui dit « des Ateliers », du nom du théâtre qu’avait créé, en 1975, Gilles Chavassieux sur la Presqu’île de Lyon, dans le 2e arrondissement, et qu’a aussi dirigé Simon Delétang, avec deux salles de 190 et 90 places. « Aujourd’hui, on n’a plus les moyens de faire vivre les deux sites qui ont fait l’objet d’un projet de fusion il y a dix ans quand on en a pris la direction avec Céline Le Roux et qui sont essentiels pour avoir des temps de plateau occupé par des résidences de création pendant qu’un autre va être ouvert au public. Aujourd’hui, entre les coupes de la Région, l’inflation et le contexte global, on manque a minima de 200 à 300 000 euros pour utiliser ces deux espaces ».
Car, depuis son arrivée à la tête du CDN en 2015 avec son projet intitulé « Imaginer demain », Joris Mathieu aura eu fort à faire avec la Région Auvergne-Rhône-Alpes, qui l’a sèchement privé de 149 000 euros (6% de la subvention) en 2023, en raison d’une tribune publiée quelques jours plus tôt sur le site du Syndéac où il déplorait « l’absence totale de concertations [de la Région] avec les organisations professionnelles ». « C’est venu saper dix ans de travail au sein du CDN et avec d’autres collectivités », nous disait-il en février dernier. Un recours a été déposé devant le tribunal administratif, mais le processus est très long. Le juge n’a pas encore fixé de date d’audience.
« J’ai aimé tout ce que j’ai fait »
Durant cette décennie, le Lyonnais aura accueilli à plusieurs reprises Phia Ménard, Marion Siéfert, Émilie Anna Maillet, Catherine Hargreaves, Frédéric Ferrer ou Renaud Herbin. Il aura aussi largement contribué à extraire de leur pays des jeunes femmes artistes afghanes prises au piège du retour des talibans en 2021 – elles sont encore en tournée aux Bouffes du Nord avec Les Messagères sous la houlette de Jean Bellorini. Il aura aussi pu créer, dans cette ville qui l’a vu naître en 1977 et où il a fondé la compagnie Haut et Court, douze spectacles ou installations, parfois hermétiques, avec des procédés sophistiqués qui l’ont poussé à inventer des formes hybrides et nouvelles, avec la complicité de son scénographe et créateur lumière Nicolas Boudier, pour dire « Nos futurs », tel qu’il a nommé ce temps fort qui alternait avec le formidable festival Micro Mondes, dédié aux formes immersives.
Il y a donc eu Artefact (2017), cet essai assez saisissant de faire du théâtre sans artiste, mais avec un bras articulé pour dire Shakespeare ; il y a eu Hikikomori, le refuge (2015), cette expérience perturbante et mémorable où chacun regardait un même plateau (très vaporeux) avec, sur les oreilles, un casque dans lequel il pouvait entendre un seul récit de l’un des trois protagonistes pendant que son voisin de gradin en recevait un autre, de sorte que tous les spectateurs n’avaient pas vraiment traversé le même spectacle. Antoine Volodine (Moi, les mammouths et Frères sorcières en 2018) a été malaxé deux fois par le metteur en scène qui a ensuite écrit ses spectacles, les deux premiers volets de sa trilogie D’autres mondes possibles – La Germination (2023) et Cornucopia (2024). Et aussi En marge !, qui jouait quand les théâtres ont été brutalement, comme la société entière, fermés pour cause de confinement. Peut-être son spectacle le plus frontal sur le monde actuel, sans dystopie ni science-fiction.
Aujourd’hui, Joris Mathieu ne recandidate pas à la tête d’une structure, mais « j’ai aimé tout ce que j’ai fait », nous assure-t-il, malgré la lourdeur inhérente à ce type de lieu et le manque grandissant de moyens qui revient à la partie artistique. Dans ce contexte contraint économiquement, il redit à quel point il est « heureux que des artistes dirigent de telles maisons » et que « la création doit en rester le centre ». Les oraux des candidat·es ont eu lieu le 18 mars. Réponse prochainement pour un poste à prendre au 1er juillet dans ce CDN désormais à la pointe de l’équipement, et qui a réussi à s’adresser aux plus jeunes, puisque 70% de son public en soirée a moins de 30 ans.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Week-end de fête pour la réouverture du TNG-Vaise
Vendredi 21 mars :
de 19h à 23h : De et par la possibilité éventuelles des devenirs envisageables, Trois Points de suspension et 3615Dakota (dès 13 ans)Samedi 22 mars :
à 11h, 15h et 17h : Diorama, Compagnie Hanafukubi (dès 4 ans)de 11h à 16h30 : ateliers masques de carnaval et fresque participative avec l’illustratrice Sophie Della Corte, lectures et karaoké théâtral avec la compagnie Haut et Court
de 17h à 19h : Le TNG part en live – Live twitch, émission en directe animée par des ados
de 19h à 23h : De et par la possibilité éventuelles des devenirs envisageables, Trois Points de suspension et 3615Dakota (dès 13 ans)
Dimanche 23 mars :
à 11h, 14h et 16h : Diorama, Compagnie Hanafukubi (dès 4 ans)
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