La Germination de Joris Mathieu et Nicolas Boudier © Nicolas Boudier
Joris Mathieu et Nicolas Boudier utilisent la réalité augmentée de manière inédite au théâtre, déployant trois utopies sur fond de grave crise environnementale.
Sac, manteau, écharpe, téléphone…, même les lunettes de vue doivent être remisées à l’entrée du théâtre. Pour assister à La Germination, il faut être le plus libre possible afin de ne pas entraver l’expérience qui s’annonce. La nouvelle création de Joris Mathieu (directeur du Théâtre Nouvelle Génération de Lyon) et Nicolas Boudier présentée jusqu’au 7 avril au Lux de Valence (Drôme), puis à Lyon en mai, recourt à un important dispositif technique. Les deux metteurs en scène s’emparent de la réalité augmentée et l’importent au théâtre malgré des contraintes fortes : la jauge maximale de spectateurs par représentation est limitée à 80. La pièce n’échappe pas non plus aux aléas de la technologie, mais rien de très gênant. La Germination soulève un problème bien plus important et ô combien d’actualité : quel monde voulons-nous demain ?
Joris Mathieu et Nicolas Boudier utilisent depuis une quinzaine d’années les nouvelles technologies. La Germination forme un pari de plus dans leur longue carrière, à une exception près. Jamais, selon eux, une représentation théâtrale n’a eu recours à autant de casques de réalité augmentée utilisés en même temps. Les deux metteurs en scène se saisissent de ce dispositif avec intelligence, comblant un espace laissé vacant par le théâtre sans pour autant censurer l’imaginaire des spectateurs.
Sur scène, le décor est coloré. Une serre recouvre le plateau abritant quelques plantes, un arbre mort, une pile de pneus dans le fond et des copeaux de bois au sol. A ces éléments réels viennent s’ajouter au gré de la représentation des éléments virtuels visibles à travers chacun des casque-lunettes remis aux spectateurs. Au préalable, les consignes d’utilisation de cette technologie sensible leur ont été communiquées ainsi que la lettre indiquant leur groupe d’appartenance (A, B, C ou D) – sans que celui-ci n’influe sur le déroulé du spectacle. Des affiches disposées dans la salle, sortes de QR codes géants, permettent de se connecter ou de se reconnecter durant la représentation en cas de besoin.
Des semaines de tests et deux années de travail sur les images ont été nécessaires pour voir aboutir cet ambitieux projet. Sa source ? Trois utopies contemporaines de Francis Wolff paru en 2017. L’histoire ? Trois personnages, deux hommes et une femme, qui se réunissent pour former une micro-communauté. Une horloge indique le temps de vie restant sur la terre pressant ainsi les trois protagonistes à agir. Des choix clairs doivent être faits pour sauver l’humanité mais c’était compter sans les travers de la nature humaine, chacun voyant midi à sa porte, persuadé de détenir la bonne solution.
Les manières d’agir s’affrontent ainsi sous serre sans pour autant faire germer un chemin suffisamment convaincant. L’un des deux hommes (Philippe Chareyron), partisan du transhumanisme, voit dans les technologies un vivier nécessaire pour augmenter l’humain et trouver de nouvelles solutions garantissant sa survie. La femme (Marion Talotti), animaliste ou multi-spéciste (on ne sait pas très bien), plaide pour un respect du vivant dans son entièreté. Et le troisième personnage (Vincent Hermano), favorable au cosmopolitisme, défend de son côté un monde sans frontières où richesses et biens seraient répartis équitablement et sans distinctions.
Joris Mathieu et Nicolas Boudier placent leurs personnages au pied du mur, là où les chemins se croisent et où une nouvelle voie doit s’ouvrir pour garantir à l’homme sa survie. Dans cet univers anxiogène, les spectateurs visualisent grâce à leurs lunettes la forme que pourraient prendre ces différentes utopies. Les animaux et les plantes côtoient ainsi les humanoïdes et les vaisseaux spatiaux. L’esthétique ressemble à celle d’un jeu vidéo. Les spectateurs sont d’ailleurs soumis à des choix sous forme de questions qui défilent au long de la représentation. Point fermé pour répondre non ou bien pouce en l’air pour signifier son approbation. Loin d’être anecdotiques, les interrogations posées relèvent du choix de société. La Germination dresse un tableau sombre et non moins juste de la crise politique actuelle. Comment bâtir du commun lorsque les fractures idéologiques sont trop importantes ? Comment lutter contre le repli sur soi et la paralysie des débats ? Le premier épisode de ce singulier projet, dont les deux prochains volets suivront en 2024 et 2025, nourrit davantage la réflexion qu’il n’apporte de réponse. Charge incombe donc à chacun d’imaginer le monde de demain.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
La Germination – d’autres mondes possibles (épisode 1)
Mise en scène et écriture Joris Mathieu / Dispositif scénique et dramaturgie Joris Mathieu et Nicolas Boudier
Mise en espace, scénographie et création lumière Nicolas Boudier
Avec Philippe Chareyron, Vincent Hermano, Marion Talotti
Création musicale Nicolas Thévenet
Création vidéo Siegfried
Marque Développement réalité augmentée Antoine Vanel
Construction de la scénographie Éclectik Scéno
Chef Décoration Claire Gringore
Décoration Célia Guinemer
Régie générale des productions et plateau Stephen Vernay
Équipe technique de création Raphaël Bertholin, Théo Gagnon, Jean-Yves Petit, Mathieu Vallet, Thibault Villalta et Gaëtan Wirsum Remerciements à PantheaProduction Théâtre Nouvelle Génération – Centre dramatique national de Lyon
Coproduction Lieu unique, scène nationale de Nantes ; Le Théâtre de Saint-Nazaire – Scène nationale ; LUX – Scène nationale de Valence ; les 2Scènes – Scène nationale de Besançon ; L’Espace des Arts – Scène nationale de Chalon-sur-Saône ; Le Manège de Maubeuge – Scène Nationale ; La MC2 : Maison de la Culture de Grenoble et L’Hexagone – Scène nationale Arts Sciences de Meylan
Avec la participation du DICRéAM – aide au développement
Avec le soutien du Fond de soutien à la création artistique et numérique [SCAN] de la Région Auvergne Rhône-Alpes.Durée 1h30
Lux à Valence
jusqu’au 7 avril 2023TNG – CDN de Lyon
du 2 au 10 mai 2023Festival Micro Mondes / TNG
du 14 au 18 novembre 2023Espace des Arts de Chalons-sur-Saône
11 décembre 2023Les 2 scènes à Besançon
du 29 janvier au 3 février 2024Théâtre de Saint-Nanzaire
le 19 février 2024MC2 Grenoble
8 avril 2024Le Manège Maubeuge
Mai 2024
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