Tiago Rodrigues fait des débuts lyriques bien discutables en s’emparant du Tristan et Isolde de Wagner à l’Opéra national de Lorraine. Dans un geste plus proche de celui d’un dramaturge que d’un metteur en scène, il superpose au livret son propre texte et semble réduire le sens.
« Cet endroit est une archive » est-il écrit sur un panneau rectangulaire élucidant d’emblée le cadre choisi pour placer l’opéra de Wagner. Des rayonnages étagés regorgent de ces pancartes blanches manipulées avec soin sur lesquelles s’affichent en gros caractères autant d’informations élusives et ordinaires, remplaçant les surtitres habituels. Figure majeure du théâtre actuel, l’ancien patron du Teatro Nacional Dona Maria II de Lisbonne et nouveau directeur du festival d’Avignon Tiago Rodrigues est lui-même un poète qui ne cesse d’écrire sur le rapport aux mots, aux récits et à la mémoire, et ce, en privilégiant des formes scéniques souvent économes et épurées aux antipodes de l’esthétique pléthorique wagnérienne.
Dans Sopro, il mettait en lumière le travail d’une souffleuse de théâtre. Dans By Heart, il invitait des spectateurs à rejoindre la scène, apprendre par cœur le sonnet numéro 30 de Shakespeare et le restituer tel un acte de résistance à l’oubli. Le monde tristanien se résume selon Tiago Rodrigues à des « héros qui chantent en allemand », « pendant des heures », « avec trop de mots », « énormément de mots ». Comble de l’ironie, ce sont pourtant encore des mots qu’il impose à lire tout au long de l’opéra, autant de commentaires paraphrastiques et bien schématiques qui n’apportent pas grand chose. Trop conceptuel et distancié, le dispositif, peu éclairant et hyper redondant, empêche de voir véritablement exister et vibrer les situations et les figures de l’œuvre, comme de voir advenir l’émotion qu’elles devraient susciter.
Compagnons de longue date du metteur en scène, Sofia Dias et Vitor Roriz qui furent de magnétiques Antoine et Cléopâtre, là encore dans une version réécrite de la pièce de Shakespeare, s’offrent comme des témoins, des guides, pour Tristan et Isolde. Ils esquissent quelques pas de danse sur le Prélude où, éloignés l’un de l’autre, ils se voient irrésistiblement attirés l’un par l’autre, mouvements que chercheront à reprendre les chanteurs lors des appels de Brangäne au grand duo d’amour de l’acte II, lequel est bien dépourvu de volupté. Au cours du spectacle, les héros éponymes ne tenteront de s’unir ou se fuir, de s’aimer ou se haïr, mais paraitront comme statufiés, affligés, loin de toute extase.
Trop peu dirigés, inégalement habités, les chanteurs forment une distribution à la fois solide et fragile, même portée avec beaucoup de ménagement par la suavité de l’orchestre. Dorothea Röschmann est une Isolde conquérante de bout en bout. Elle confère au personnage une noble prestance mais demeure aussi parfois en difficulté. La voix mozartienne de la chanteuse s’est nettement élargie et a gagné en puissance vibrionnante. Mais certains aigus lui sont inaccessibles et l’obligent à passer en force, à crier ou s’époumoner, au risque de heurter la musicalité. A rebours d’un « poids lourd » wagnérien, le Tristan de Samuel Sakker que l’on craignait un peu insuffisant dans les premières parties se révèle magnifiquement vaillant et éloquent lors de l’agonie du troisième acte. On trouvera néanmoins une plus grande plénitude vocale chez la Brangäne d’Aude Extrémo et surtout chez le roi Marke de Jongmin Park.
En fosse, l’orchestre admirablement dirigé par Leo Hussain déploie des sonorités de toute beauté. La finesse du style, forcément plus élégant que rutilant compte tenu des moyens mobilisés, permet l’éclosion d’un bel onirisme nocturne au II, et de tonalités profondément tragiques au III. A l’évidence, cette production proposée de Tristan et Isolde fait et va faire débat mais une chose est incontestable malgré les réserves énoncées : la belle ambition de l’Opéra de Lorraine qui met à son affiche un spectacle d’une telle envergure.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Tristan et Isolde
Musique et livret (non-surtitré) Richard Wagner
Texte (surtitré français/anglais) Tiago Rodrigues
Orchestre et chœur de l’Opéra national de Lorraine
Direction musicale Leo Hussain
Chef de chœur Guillaume Fauchère
Assistant à la direction musicale William Le Sage
Mise en scène Tiago Rodrigues
Décors Fernando Ribeiro
Costumes José António Tenente
Lumières Rui Monteiro
Dramaturgie Simon Hatab
Assistanat à la mise en scène Sophie Bricaire
Tristan Samuel Sakker
Isolde Dorothea Röschmann
Brangaene Aude Extrémo
Kurwenal Scott Hendricks
König Marke Jongmin Park
Melot Peter Brathwaite
Berger / Voix d’un jeune marin Owen Metsileng
Timonier Yong Kim
Danseurs, chorégraphes Sofia Dias, Vitor RorizTout public à partir de 11 ans
4h40 avec 2 entractesNouvelle production Opéra national de Lorraine
Coproduction Opéra de Lille, Théâtre de CaenOpéra national de Lorraine
dimanche 29 janvier 2023 à 15h*
mercredi 1er février à 19h
samedi 4 février à 19h
mardi 7 février à 19h
vendredi 10 février à 19h
*Cette représentation propose un atelier du dimanche.Théâtre de Caen
les 31 mars et 2 avril 2023Opéra de Lille
les 9, 12, 17, 21 et 24 mars 2024
Production d’un Opéra/Lecture extrêmement désagréable à regarder. Dommage, la performance musicale était haut de gamme! Quand à l’œuvre, elle nous est volée. Finalement très bonne version de concert!