Dans la mesure de l’impossible, dernier spectacle de Tiago Rodrigues créé à La Comédie de Genève est actuellement en tournée en France. Une pièce documentée écrite à partir de témoignages d’humanitaires de la Croix-Rouge et de Médecins sans Frontières, qui ont raconté au futur directeur du Festival d’Avignon, leur quotidien, au contact des victimes.
Vous avez rencontré ces hommes, ces femmes qui sont engagé.e.s dans l’humanitaire sur le terrain en restituant au plus proche leurs récits qui donnent une autre lecture de la souffrance du monde. Comment avez-vous travaillé cette matière pour la rendre théâtrale ?
Je souhaitais dès le départ respecter la confiance de ces humanitaires qui ont accepté de nous confier ces histoires en sachant qu’elles seraient peut être utilisées dans un spectacle de théâtre. Leur geste relève d’une espèce de cadeau intime. Alors, on a essayé de respecter la complexité de ces histoires, en échappant le plus possible au piège du sentimentalisme, mais aussi du moralisme avec lequel habituellement on peut regarder de loin ces conflits, avec une grande pudeur pour ne pas exploiter la souffrance, sans cynisme, sans sentiment de sentimentalité. C’était notre code de conduite éthique pour dresser le portrait de la souffrance.
Avez vous le sentiment que ces femmes et ces hommes, vous ont dit des choses qu’ils n’avaient peut être jamais dit à personne ?
Les entretiens ont souvent été longs, ils ont duré parfois trois à quatre heures et à la fin certains nous le disait. « Je n’ai jamais dit ça à ma famille, je n’ai jamais dit ça à mes proches, je vous ai confié des histoires que je n’ai jamais été capables de partager, sinon entre humanitaires ». On a donc fait attention à identifier aucune personne, aucune région pour écrire une pièce poétique qui n’est pas documentaire, mais plutôt un spectacle documenté pour aller vers le théâtre, vers la fiction, vers le conte, vers le récit. Ce n’est ni reportage, ni un essai, ni un travail de recherche.
La poésie, elle s’exerce à travers à la fois la scénographie et la musique rythmée et réalisée en direct par les percussions de Gabriel Ferrandini qui traduit tout le fracas du monde.
Il y avait des choses qu’on n’arrivait pas à dire avec les mots, parce qu’elle étaient tellement énormes, tellement obscènes, au vrai sens du mot obscène comme dans la tragique tragédie grecque. Et là, le génie musical de Gabriel Ferrandini à la batterie nous a permis de trouver l’indicible.
Avec cette pièce, est ce que l’on est Tiago Rodriguez au cœur de votre métier d’artiste, d’homme de théâtre, de raconteur d’histoires ?
Ce spectacle est clairement, ma réponse à l’urgence du moment. Il est essentiel, vital. Je regarde cette pièce comme quelqu’un qui regarde une polaroïd plein d’émotions Tout change tellement vite. Et parce le monde change, nos urgences changent aussi la conception de notre métier. Et dans mon cas, c’est le théâtre. Le théâtre est un art des gens, un art des corps, un art du vivant et de la présence, mais aussi de la présence des absents. Comme les personnages des histoires racontées par les humanitaires interviewés, qui sont absents physiquement, mais présents à travers les acteurs. Pour moi, c’est ça le théâtre.
Propos recueillis par Stéphane CAPON – www.sceneweb.fr
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