Thomas Jolly : « Le théâtre redonne de la pensée, c’est une fête ! »
Il sera l’un des metteurs en scène très attendus cet été lors du Festival d’Avignon. Thomas Jolly (32 ans) y présentera l’intégrale de son Henry VI de Shakespeare. Un spectacle de 16 heures. Les 8 premières heures ont déjà été créées. Le public et la critique ont salué son travail. Rencontre avec un metteur en scène qui fourmille d’idées.
A partir de quel moment vous êtes vous lancé dans cette aventure ?
La rencontre avec cette pièce date de 2004. Je suis tombé amoureux de cette saga et de cette épopée. Et en 2009 dans un été de désœuvrement et d’ennui je décide de monter la pièce. Mon désir est irrépressible. Evidemment je me dis « je suis trop petit », je n’avais monté que deux spectacles, mais le désir s’allume et je ne peux aller à l’encontre de celui-ci.
Et j’imagine que vous n’aviez pas vu d’autres mises en scène. Vous étiez trop jeune en 1996 pour voir celle de Stuart Seide dans la Cour d’honneur à Avignon ?
J’en ai beaucoup entendu parlé. C’est la dernière qui fait date dans une version coupée de 8 heures. L’idée pour moi était de ne pas couper. Au-delà de la performance de monter presque pour la première fois en France l’intégralité des trois pièces, je souhaite montrer le mécanisme de l’écriture de Shakespeare. Il débute par la comédie, puis il glisse insidieusement vers la tragédie et cela se termine par la barbarie. Il y a une longue descente stylistique. Si on coupe on perd tout ce que Shakespeare nous raconte sur le basculement du monde du 15ème siècle. Le monde se métamorphose à cette époque là. On est vers la fin du Moyen-âge et on bascule vers la Renaissance.
On a l’impression d’ouvrir une livre d’Histoire lorsque l’on suit cette épopée
Shakespeare écrit 150 ans après les faits dans une époque où il n’y a pas internet, pas la radio, pas la télé, pas les journaux et Elisabeth 1er commande des chroniques historiques. Elle essaye de consolider l’idée de Nation après plusieurs siècles de déchirure en Angleterre. C’est un geste pédagogique de la part de Shakespeare de rendre au peuple anglais son histoire. Il prend énormément de libertés. Sous sa plume les français sont de pleutres, des goujats, des fanfarons, Jeanne d’Arc est une sorcière, une prostituée. Cette vision là m’amuse.
Dans votre lecture de la pièce vous arrivez à nous expliquer de façon limpide l’histoire de la généalogie des rois d’Angleterre !
C’est le défi que je me suis lancé. On peut trouver cela trop pédagogique mais pour mettre le nez dans la guerre de cent ans et dans les guerres de successions, il faut donner une grande lisibilité. Un spectateur perdu pendant dix secondes est un spectateur perdu à jamais. En fait Shakespeare a écrit des monologues qui font une page entière où il explique les lignées royales depuis Edouard III.
Et pour ceux qui n’ont pas tout à fait compris une comédienne Manon Thorel vient de temps et temps resituer la pièce et prendre des nouvelles des spectateurs !
Elle est leur hôte. Avec une œuvre aussi longue on génère de l’appréhension chez le spectateur. Le sujet est complexe. La durée effraie. Mais je n’invite rien. Manon est complice avec le public.
Quelle sera la durée à Avignon ?
Si mes calculs sont exactes cela devrait se situer entre 16 et 17 heures avec les entractes. Il nous reste une pièce et demie à monter. Mais Olivier Py a fait plus avec les 24 heures de la Servante. La durée redonne au théâtre du temps partagé entre artistes et spectateurs. On mange ensemble, on parle avec ses voisins. Il y a quelque chose qui dépasse la scène. Cela me rassure et cela m’émeut. Le théâtre a un rôle primordial à jouer. Il redonne de la pensée. C’est une fête. Si on réapprend à penser on aura peut-être d’avantage de discernement.
On vient se divertir au théâtre et se rappeler que l’on est humain et que se diviser ne fait pas avancer les choses.
Par moment votre mise en scène est très frontale, est-ce que c’est du mimétisme avec Stanislas Nordey ?
(rires) Alors Stanislas Nordey qu’on se le dire n’a pas inventé le face public ! Pendant des siècles les acteurs ont joué comme cela. La frontalité permet l’accès à cette pensée dont nous parlions. Elle me permet de créer le protocole de la Cour d’Henry VI. Et puis au fur et à mesure la frontalité protocolaire va s’effacer dans la dernière partie pour que l’on se parle en direct et de profil. Je suis friand du face public en tant qu’acteur et en tant que spectateur.
Vos comédiens sont éclairés sur les côtés et par derrière, jamais de face. Pourquoi ?
Je trouve très laid l’éclairage de face. Voilà je le dis. Je trouve que cela aplatît les visages. La danse a beaucoup développer les projecteurs latéraux. Cela donne à l’espace et au corps une belle dimension. Devant il y a juste une rampe au sol, un peu à l’ancienne. Il n’y a pas non plus beaucoup de vidéo dans mes spectacles, ni de micros, ni de technologie, car pour l’instant je n’arrive pas à travailler avec ces outils.
Etes-vous vraiment de votre époque ?
En fait j’attends d’avoir des outils technologiques qui permettent d’avoir de l’émerveillement. Aujourd’hui on est blasé des effets, surtout au cinéma. Si on peut faire venir un tyrannosaure sur le plateau qui crie sur le public, on le fera ! Pour l’instant la vidéo ne me convainc pas. Par contre je suis un fervent défenseur de la machinerie au théâtre. Je crois aux dessous, au plateau, aux cintres. C’est-à-dire l’enfer, la terre et le ciel. Et avec cette machine qu’est le plateau on peut développer beaucoup d’outils. Je le fais à mon petit niveau, celui d’une petite compagnie indépendante. C’est ce que le théâtre à su faire de mieux, on pense aux pièces machines de Molière comme Psyché.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON
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