« L’Hôtel du Libre-Échange » : Nordey en liberté
Vingt ans après La Puce à l’oreille, Stanislas Nordey monte l’autre pièce phare de Georges Feydeau, entouré par la même équipe artistique qu’à l’époque. Une réussite où la folie du jeu et la précision de la mise en scène font bon ménage.
Depuis qu’il a quitté ses fonctions à la tête du Théâtre national de Strasbourg, Stanislas Nordey vit sa meilleure vie (pour parler comme un jeune d’aujourd’hui). C’est l’impression qu’inspire sa dernière création, L’Hôtel du Libre-Échange, découverte à Toulouse, tant celle-ci est à contre-courant de l’état d’esprit de l’époque (inquiet), de son œuvre en tant que metteur en scène (sérieuse), et semble faire fi de la situation économique du secteur (précaire). Le public enthousiaste du ThéâtredelaCité, amplement composé de jeunes spectateurs, en était la plus belle illustration, pour le plus grand plaisir du directeur du CDN toulousain, Galin Stoev, qui a décidé de débaucher avant la fin de son troisième mandat, en raison des coupes budgétaires qui auraient rendu son travail impossible.
Stanislas Nordey a déjà monté une pièce de Feydeau, La Puce à l’oreille. Certes, ce spectacle date d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, mais l’artiste était alors entouré de la même équipe de création : Emmanuel Clolus (à la scénographie), Raoul Fernandez (aux costumes) et Loïc Touzé (à la chorégraphie). Force est de constater que la joie demeure. Ces hurluberlus partagent tonicité et folie. Ils sont si à l’aise dans la minutieuse mécanique de l’auteur dramatique qu’ils télescopent absurdité et virtuosité (ce qui est assez rare), et nous font accepter ce qui a vieilli chez Feydeau : la beauferie de ses protagonistes et les habitus bourgeois de la fin du XIXe, qui ne sont plus ceux d’aujourd’hui – l’hypocrisie adultérine ayant largement fait place à la radicalité du divorce.
Mais, au plateau, les règles, elles, n’ont pas changé. À commencer par l’efficacité des contrastes au nom de l’humour : dans la scénographie – la modernité de l’appartement des Pinglet contre l’aspect pouilleux de l’hôtel du Libre-Échange, puis le bec de cette autruche affichée en fond de scène –, dans la distribution – le corps immense de Cyril Bothorel contre la petite Hélène Alexandridis –, dans les propos et les costumes – l’indu sexisme de l’époque contre le travestissement des personnages (entre les murs du Libre-Échange, ces derniers ressemblent tous à des poules lubriques) –, dans la langue du XIXe, avec les danses délirantes de la fin. « À un moment donné, il va falloir arrêter les drogues là », avons-nous entendu de la bouche d’un post-ado assis derrière nous.
Stanislas Nordey pousse la cruauté jubilatoire de l’auteur à son paroxysme. Rarement aurons-nous vu notre triste condition ainsi malmenée, le désir aussi ridicule et le ridicule aussi avilissant, les convenances aussi bêtes et la bêtise autant partagée. Mentions spéciales à l’ironique Cyril Bothorel, au gracieux Raoul Fernandez et à la féroce Anaïs Muller. Malgré la rigueur prêtée à la lecture de la partition, chacun et chacune donnent l’impression de se lâcher. Une troupe nombreuse (quatorze acteurs au plateau) provoque des plaisirs de théâtre uniques et effervescents. Il faut avoir la sagesse d’en profiter.
Igor Hansen-Løve — www.sceneweb.fr
L’Hôtel du Libre-Échange
Texte Georges Feydeau
Mise en scène Stanislas Nordey
Avec Hélène Alexandridis, Alexandra Blajovici, Cyril Bothorel, Marie Cariès, Claude Duparfait, Olivier Dupuy, Raoul Fernandez, Paul Fougère, Damien Gabriac, Anaïs Muller, Ysanis Padonou, Sarah Plume, Tatia Tsuladze, Laurent Ziserman
Collaboratrice artistique Claire Ingrid Cottanceau
Scénographie Emmanuel Clolus
Création lumière Philippe Berthomé
Création costumes Raoul Fernandez
Chorégraphie Loïc Touzé, Nina Vallon
Composition musicale Olivier Mellano, avec la voix de Raoul Fernandez
Construction décor et confection costumes Ateliers du Théâtre de Liège, avec la collaboration des Ateliers de la MC2: Maison de la Culture de GrenobleProduction MC2: Maison de la Culture de Grenoble – Scène nationale ; Cie Nordey
Coproduction Odéon – Théâtre de l’Europe ; Théâtre de Liège – DC&J Création ; Célestins – Théâtre de Lyon ; Bonlieu – Scène nationale Annecy, Théâtre de Lorient – Centre dramatique national
Soutiens Tax Shelter du Gouvernement fédéral de Belgique et Inter Tax ShelterLe texte L’Hôtel du Libre-Échange est publié aux Éditions de l’Arche.
Durée : 2h55 (entracte compris)
ThéâtredelaCité — CDN Toulouse Occitanie
du 3 au 11 avril 2025Odéon — Théâtre de l’Europe, Paris
du 6 mai au 13 juin
Pardon mais vous oubliez de préciser dans votre article que les blagues misogynes de Feydeaux sont amplifié par nordey. Que la femme est rangé au rang d’objet utilisable par les hommes. Vous oubliez aussi de parler du visage plein de suie d’un protagoniste surement pas un blackface voyons.. la replique suivante en disant qu’il est noir toi être une erreur de jugement… pauvre théâtre bourgeois.