Créé à Strasbourg, Ce qu’il faut dire monté par Stanislas Nordey porte à la scène une parole et une pensée à la fois poétiques et politiques qui font assurément s’accorder le théâtre et la société trop souvent déconnectés.
Si, trop souvent, le théâtre fait douter de sa capacité à être connecté avec le monde, la pièce Ce qu’il faut dire que met en scène Stanislas Nordey à partir de trois textes de l’écrivaine franco-camerounaise Léonora Miano pose clairement et intelligiblement les questions qui secouent notre époque sans pour autant se réduire à un simple commentaire de l’actualité. Elle questionne le monde d’hier, d’aujourd’hui, de demain, avec une verve poétique et revendicatrice qui n’est pas sans humour ni sans vitalité. Elle interroge aussi bien les mots que les faits. Que signifie être désigné noir ou blanc ? Que signifie la race ? Que signifie l’Afrique ? Que signifie être soi, être à soi ? Qu’est-ce qui a autrefois rendu et rend encore possible l’appropriation des espaces et la brutalisation des individus ? Au nom de quel mépris, de quel rapport de force, des êtres et des existences ont été et sont bafoués ? C’est tout cela qui se laisse disserter moins d’une manière cérébrale que pleinement vivante, sur un ton ni poli ni policé, mais avec la puissance d’une langue, d’une culture et d’une pensée qui forcent le respect.
Stanislas Nordey qui porte dans l’ADN de son geste théâtral une réelle capacité à projeter, propulser les mots, de manière incisive et percutante, pioche dans un vaste ensemble de textes écrits par Léonora Miano pour en extraire trois fragments intitulés La question blanche, Le fond des choses et La fin des fins. Dans sa mise en scène où règnent l’épure et la couleur, les mots occupent la toute première place et frappent fort. Sous l’influence du Black Arts Movment, ces mots ont été écrits pour la parole et donnés sur scène par leur autrice elle-même sous la forme de récitals. L’oralité et l’énergie verbale s’imposent alors dans sa langue très littéraire et musicale.
Cette fois, ce sont trois comédiennes Afropéennes, Océane Caïraty, Ysanis Padonou et Mélody Pini, qui les portent à la scène. Récemment formées à l’école du TNS et réunies sur scène, elles incarnent magnifiquement la jeunesse d’aujourd’hui, sa diversité, sa radicalité. Engagées aussi bien intellectuellement qu’émotionnellement, elles font se libérer et respirer la parole en interprétant tour à tour trois chants rythmés de manière vivifiante par la percussionniste Lucie Delmas qui les accompagne.
La première prise de parole se fait entendre sans heurt ni tapage mais sur un ton d’une confondante suavité. Une jeune femme noire s’adresse à un destinataire blanc. Le dialogue est en fait un soliloque qui souligne l’impossibilité de l’échange et s’opère de manière indirecte par le truchement d’une caméra sur pied et d’un écran. En faisant rimer « noire » avec « mémoire », « couleur » avec « valeur », la comédienne défend l’idée selon laquelle on ne peut réduire, assujettir, ce qu’est une personne à ce qu’elle représente.
La partie centrale se veut la plus frontale et pêchue. Une deuxième actrice, toute vêtue d’une tenue rouge incendiaire, malaxe des pans de l’histoire et remet les choses en place avec malice et détermination. Au cœur du propos, la vieille Europe envahisseuse et conquérante en prend pour son grade une fois mise face à ses prétentions et ses responsabilités. L’autrice pointe avec justesse la méconnaissance et l’incompréhension qui enveloppent des sujets aussi controversés que la racialisation, la colonisation et l’immigration.
Le troisième et dernier round se présente comme la réponse d’une sœur cadette à son grand frère, Maka, joué par Gaël Baron. Elle propose une tentative d’accalmie pour apaiser les tensions et se défaire de toute forme de domination, d’assignation, dans un discours qui illustre bien la grandeur des individus offensés.
Le temps de la vengeance est terminé. Il se profile à l’horizon une nouvelle ère. C’est ce que dit Ce qu’il faut dire en chantant non pas le repli sur soi mais la quête de soi qui passe par l’ouverture à l’autre. Le désir de fraternité répond sans naïveté à un besoin de repenser l’altérité. La nécessité de faire entendre cela s’est évidemment confirmée le soir de la première du spectacle qui a été ovationné.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Ce qu’il faut dire
Texte Léonora Miano
Mise en scène Stanislas Nordey
Avec Gaël Baron, Océane Caïraty, Ysanis Padonou, Mélody Pini
Collaboratrice artistique Claire ingrid Cottanceau
Scénographie Emmanuel Clolus
Costumes Raoul Fernandez
Musique Olivier Mellano
Lumière Stéphanie DanielVidéo Jérémie Bernaert
Percussionniste Lucie DelmasLe décor est réalisé par les ateliers du Grand T, théâtre de Loire-Atlantique et par les ateliers du TNS
Les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS
Ce qu’il faut dire de Léonora Miano est publié et représenté par L’Arche – Éditeur & agence théâtrale. www.arche-editeur.comProduction Théâtre National de Strasbourg
Remerciements aux Percussions de Strasbourg
Durée : 1h30
Théâtre National de Strasbourg
6 nov au 20 nov 2021
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