Cécile Brune : « La part de mystère la plus incroyable de ce métier, c’est quand on est surpris au détour d’une phrase, ou d’une respiration, de l’écho, de la réverbération que ça provoque en soi »
Après 25 ans de carrière à la Comédie Française, Cécile Brune revient sur le devant de la scène cette semaine dans Au bord de Claudine Galea au Théâtre National de Strasbourg, un monologue écrit à partir de la célèbre photographie de la soldate tenant en laisse un prisonnier à Abou Ghraib en Irak. Dès sa parution, Stanislas Nordey a toujours souhaité mettre en scène ce texte qui a reçu le Grand Prix de littérature dramatique en 2011. Un rôle qu’il a confié à Cécile Brune. Voici son interview Soir de Première.
Avez vous le trac les soirs de première?
Oui bien sûr! et ce d’autant plus que nous avons été privé de scène depuis maintenant 2 ans ! C’est long ! Pendant cette période de « disette », on a beaucoup entendu parler de nôtre système immunitaire, mais contre le Trac, personne n’a encore trouvé ni vaccin, ni remède miracle ! Comme c’est un mal assez bénin, c’est plutôt une très bonne nouvelle, et je m’en réjouis !
Comment passez-vous vos journées avant un soir de première ?
C’est une espèce d’espace temps où tout est en contradiction entre le mental et le corps. Dès le matin, l’esprit est tendu comme un arc vers le soir. Je me sens à la fois comme une espèce de « super-héros » dotée d’une force incroyable, et en même temps, j’en fais le moins possible, ou je marche pendant des heures un peu au ralenti avec des pics d’angoisse où je me refais tout le texte !..la plupart du temps dehors, dans les rues…
Avez-vous des habitudes avant d’entrer en scène ? des superstitions ?
Des superstitions non. Des habitudes non plus, ou alors j’appellerais plutôt ça des « tocs ». Je vérifie ma montre toutes les 5 minutes, à partir du moment où j’arrive dans la loge, et où je sais que le décompte des 30 minutes avant l’entrée de public est amorcé ! J’essaie de m’empêcher d’allumer encore une cigarette, mais la plupart du temps, ça rate !
Première fois où je me suis dit je veux faire ce métier ?
Comme j’allais très peu au théâtre étant enfant ( il n’y avait quasiment rien dans la petit ville où j’habitais) je crois que j’ai pris conscience que c’était un métier assez tard. Ce que j’adorais par dessus tout, c’était substituer ma voix, à celle du narrateur qui sortait de mes disques 33 tours, et qui racontait des histoires ! Je m’enfermais dans ma chambre pendant des après-midi entiers, avec mon magnéto à cassettes, et je re-faisais les enregistrements ! C’est par la suite que j’ai réalisé que ces gens que j’avais l’audace de remplacer, c’était des acteurs! et que « jouer »: on pouvait aussi en faire un métier ! Révélation magique !
Premier bide ?
Quand j’ai tenté le concours de la Classe Libre, à l’École Florent la première fois. L’élève avec lequel j’avais préparé ma scène « Hermione/Pyrrhus » m’avait laissé tomber le jour J. Paniquée, car plus personne pour me donner la réplique, j’ai demandé à un autre élève inconnu présent ce jour là de me dépanner, même en ne faisant que lire le texte… mais il était tellement tétanisé qu’il est resté tout du long au fond de la scène, impossible de l’en déloger alors que je m’adressais à lui ! Du coup, le lendemain, François Florent m’a accueilli en ces termes: « Alors là, chapeau Brune, tu as tout passé 3/4 dos, et dans le jury, personne ne t’a vue! » (en fait, il en a plutôt ri, car il me savait très jeune, et c’était pas dramatique…quoi que !)
Première ovation ?
Ovation, le terme est vraiment disproportionné mais je me souviens d’applaudissements nourris lors des présentations de fin d’années au Conservatoire. Ma professeur, Madeleine Marion, m’avait conseillé de passer la première version de l’Échange de Claudel, qui n’est pas celle que l’on joue habituellement. Le personnage de Lechy Elbernon y a une scène d’ivresse particulièrement impressionnante, et je lui suis très reconnaissante de m’avoir encouragée, même si je n’avais absolument pas l’âge du rôle. Disons que j’y ai gagné mes « premiers galons d’élève ». Ç’est important car ça booste la confiance, qui est essentielle pour n’importe quel « oisillon » qui sort du nid !
Premier fou rire ?
C’était quand j’ai joué pour la première fois du Feydeau: « Chat en poche » au Vieux Colombier, la pièce débute par une scène de repas de famille, ce qui est déjà, en soi, assez périlleux lorsqu’il faut garder son sérieux. Débarque un type que tout le monde prend pour un ténor, ce qu’il n’est pas évidemment. Denis Podalydès qui jouait ce fameux faux ténor « Dufausset », avait chaque soir un « air à chanter » pour tenter désespérément , malgré le subterfuge, de ne pas perdre la face aux yeux de l’assistance. Il attaquait donc bien sûr cet air extrêmement faux! Les convives idiots que nous jouions étaient sensés n’y voir que du feu, et trouver cela splendide !!
Mais un soir, patatras. Sa prestation était tellement hallucinante dans l’inaudible, que tout le monde a plongé dans son assiette, pris d’un fou rire irrépressible !! Le chanteur compris !
Premières larmes en tant que spectatrice ?
J’étais à la fois actrice débutante, mais surtout spectatrice lors d’une scène bien précise de « Dialogues des Carmélites » de Bernanos, créé à Lille dans la mise en scène de Gildas Bourdet. A la fin de la pièce, la mère supérieure du Carmel, la mère Lidoine, que jouait superbement Françoise Seigner, fait un dernier discours d’adieu à ses carmélites, les sachant toutes condamnée les religieuses prisonnières, qui ignorent encore le sort qui les attend, ne font que l’écouter en silence. C’était très court, mais tellement extraordinaire d’humanité, de sensibilité fragile et douloureuse, émanant de cette actrice imposante, au tempérament fort, expansif que les nonnes que nous étions sortions chaque soir de la prison en larmes. Françoise était tellement bouleversante, que nous avions du mal ensuite à ne pas sangloter tout en chantant le « Salve Regina » lors de la scène finale
et la montée à l’échafaud.
Première mise à nue ?
J’avoue que je ne sais pas trop ce que ça veut dire, c’est un peu de l’ordre de la formule toute faite, qui essaie peut-être de définir ce qui reste indéfinissable par essence. Même le metteur en scène ne sait jamais ce qui se dévoile, ou se révèle de l’interprète quand celui-ci est au plus intime de son texte, de sa partition.
Pour ma part, je crois que la part de mystère la plus incroyable de ce métier, c’est quand on est surpris au détour d’une phrase, ou d’une respiration de l’écho, de la réverbération que ça provoque en soi. Plus que surpris d’ailleurs, le terme plus exact serait « saisi ». Cela m’est arrivé avec plusieurs personnages très différents les uns des autres, de Fantasio de Musset, à Mme Rafi de « La Mer » d’Edouard Bond, et là encore avec ce texte de Claudine Galéa. Ce qu’il faut, je crois, ça n’est pas tant « se mettre à nu », c’est ne jamais cesser d’être en éveil de ce saisissement qui peut survenir, et dévoiler en l’occurence un peu de soi que peut-être on ignorait jusque là. Finalement, c’est, trop sommairement résumé, nôtre travail à chaque fois.
Première fois sur scène avec une idole ?
C’était avec deux idoles, ou du moins deux monstres sacrés du Théâtre: Jean-Louis Barrault et Jean Marais tous deux réunis dans le Cid que Francis Huster avait monté au Théâtre du Rond-Point, en 1986. Nous avions offert à Jean Marais un petit ventilateur de poche, qui avait tout d’un jouet d’enfant..il faisait un joli bruit d’abeille ! Du coup, on avait surnommé Jean: Maya l’Abeille du nom de ce dessin animé à succès à l’époque ! Il adorait son surnom et débarquait chaque soir dans notre loge en plaisantant: « Coucou les enfants, c’est Maya l’Abeille! » De la part d’un Dom Diègue aussi célèbre, c’était désarmant de gentillesse et de fantaisie bienveillante.
Première interview ?
C’était plutôt un petit reportage pour les infos TV, qu’une Interview. Une équipe m’avait suivie lors de ce que nous appelions un peu « nôtre marathon » théâtre, quand il nous arrivait à la Comédie-Française de jouer deux fois dans la même soirée. Je passais du Studio Théâtre avec un Marivaux, à la salle Richelieu avec Rodogune de Corneille.
Premier coup de cœur ?
J’en retiens 3 qui m’ont particulièrement transportée, et c’était chaque fois au Théâtre de l’Odéon, Théâtre de L’Europe à l’époque.
Le « Barouf à Chioggia » de Giorgio Strehler avec cette fin miraculeuse où Goldoni/personnage auteur faisait ses adieux aux petites gens de sa jeunesse…
Les Trois soeurs par la troupe de Budapest, dans une mise en scène de Tamas Ascher… les plus bouleversantes dans mon souvenir, bien que moins grandioses que celles de Peter Stein aux Amandiers.
La Cerisaie par la Taganka de Moscou ( autour de ces mêmes années fin 80…) une mise en scène tournoyante, endiablée et cette actrice fabuleuse que je découvrais dans le rôle de Lioubov: Alla Demidova.
Cela a été une surprise doublée d’une tristesse de voir Cécile Brune quitter la Comédie-Française, où elle avait toute sa place. L’interview confirme qu’elle est non seulement une grande actrice, excellant dans Marivaux, Feydeau, Corneille et dans le contemporain, mais qu’elle sait trouver des mots très justes pour rendre compte de son métier, de sa vocation, de ses expériences et émotions d’actrice. Artiste et femme infiniment attachante, et que j’espère revoir bientôt sur scène.