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Médée, un soleil noir qui aimante et émeut

Coup de coeur, Les critiques, Paris, Théâtre

Médée © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

A la Comédie-Française, Lisaboa Houbrechts met en scène une détonante et émouvante Médée à qui Séphora Pondi donne un tout nouveau visage.

C’est un cri perçant et déchirant qui lance la tragédie d’Euripide. On ne voit pas Médée mais on l’entend. L’amoureuse trahie et abandonnée par son époux Jason hurle comme une bête sa douleur exacerbée avant même d’apparaître physiquement, au centre du plateau, où l’ascension d’un long voile bleu métonymique évoque le destin d’autre figure maternelle au supplice : la Vierge Marie. Voix rauque, solide carrure, noire silhouette rehaussée par un cœur écarlate, la Médée de Séphora Pondi tranche avec les représentations traditionnelles. Plus dark que sainte, mais pas non plus complètement démythifiée. Elle se présente comme un bloc de souffrance qui entre en résistance avec forte combativité. Pour cela, la jeune actrice impose une présence énergique pleine d’autorité et de gravité.

Médée c’est l’étrangère, la colchidienne, la barbare, l’exilée. Bannie de tous côtés, y compris de Corinthe où elle trouve refuge en suivant l’homme qu’elle aime et qui est tout pour elle. Répudiée, rejetée, elle développe pourtant un pouvoir d’attraction, une sorte de sortilège, de magnétisme, qui happe tout vers elle. Ainsi le roi Créon (Didier Sandre) qui cherche à la chasser de ses terres ne fait que graviter autour d’elle comme un astre argenté autour du soleil. Plus tard, la confrontation musclée entre Médée et Jason se présente sous la forme d’une longue étreinte. Couché et lové au sol, le couple se déchire mais la dureté des mots échangés trouve un étonnant contrepoint dans la tendresse des corps lascifs, charnels, emprunts d’une violence tapie dans la douceur, sans animosité. Fidèle au parti pris qui, à plusieurs reprises, propose d’indifférencier les sexes, sans doute pour les rendre plus égaux dans leur extrême vulnérabilité, c’est l’actrice Suliane Brahim qui incarne l’homme volage et ingrat. Quand le texte décrit Jason comme « le roi des salauds », ce dernier affiche une mansuétude apparemment sincère. Quand triomphe la funeste vengeance de Médée qui tue sa rivale et assassine ses propres enfants, Jason, silhouette frêle, poitrine nue, paraît tellement défait qu’il se laisse ensevelir sous une cascade de sable.

C’est une constante dans son travail, Lisaboa Houbrechts ne cesse de requestionner, réévaluer, réinventer la matière dont elle s’empare pour mieux en restituer les enjeux contemporains et universels, en ouvrant de larges champs interprétatifs. Devenue une figure incontournable de la nouvelle scène flamande après plusieurs collaborations avec Alain Platel, Guy Cassiers ou encore Ivo van Hove, la jeune metteuse en scène s’est fait remarquer depuis quelques années avec différentes pièces dans lesquelles elle porte un discours sensible sur les plans politique et humain, à travers des formes d’envergure qui mêlent théâtre, danse, arts visuels et musique omniprésente. Plastique, opératique, puissamment organique, sa version de Médée s’irrigue d’images et de sons aussi envoûtants qu’omniprésents. D’une indéniable beauté, le spectacle proposé n’est pas avare en images poétiques mais aussi économes en démonstration. Les choses ne sont jamais littéralement données à voir mais évoquées, symbolisées, tacitement. Par exemple, les enfants sacrifiés ne sont pas présents sur scène mais représentés par leurs petits vêtements suspendus à des cordes à linges – un moyen de plonger dans le trivial sublimé de la vie nomade et précaire de l’héroïne – avant que l’explosion en plein vol de deux gros ballons de baudruches suggère le geste meurtrier de leur infanticide mère.

C’est finalement moins l’hybris que l’éros que Lisaboa Houbrechts cherche à faire se déployer sur l’immense plateau dépouillé. En témoigne la présence d’Aphrodite, déesse dansante en tenue d’apparat, embrassée à pleine bouche et aussitôt violentée par Médée. L’ambivalence des sentiments est au cœur du propos. Dans l’un des derniers tableaux, deux massifs blocs de pierre sculptée se rapprochent pour ne former qu’un seul et colossal visage lézardé. Leurs lèvres réunies figurent un ultime et impossible baiser. Ce sont bien l’amour et l’émotion comme tentative de consolation qui guident cette belle lecture du mythe de Médée.

Christophe Candoni – www.sceneweb.fr

Médée
d’après Euripide
Traduction Florence Dupont
Adaptation et mise en scène Lisaboa Houbrechts
Dramaturgie : Simon Hatab
Scénographie : Clémence Bezat
Costumes : Anna Rizza
Lumières : Fabiana Piccioli
Musique originale : Niels Van Heertum
Chants : Jérôme Bertier
Son : Jeroen Kenens
Travail chorégraphique : Tijen Lawton
Maquillages : Céline Regnard
Assistanat à la mise en scène : Céline Gaudier
Assistanat à la scénographie : Nina Coulais de l’académie de la Comédie-Française
Assistanat aux costumes : Clément Desoutter de l’académie de la Comédie-Française

Avec
Serge Bagdassarian
le Chœur de Colchide et le Chœur des femmes

Bakary Sangaré
la Nourrice et le Chœur des femmes

Suliane Brahim
Jason, enfant du roi déchu d’Iolcos, abandonne Médée pour Créüse

Didier Sandre
Créon, roi de Corinthe, le Chœur de Colchide et le Chœur des femmes

Anna Cervinka
Égée, roi d’Athènes

Élissa Alloula
le Chœur de Colchide et le Chœur d’Athènes

Marina Hands
le Chœur de Colchide et le Chœur d’Athènes

Séphora Pondi
Médée, épouse de Jason, fille du roi de Colchide

Léa Lopez
Créüse, fille de Créon, promise à Jason, le Chœur d’Athènes et Aphrodite, déesse de l’amour

L’ACADÉMIE DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE
Sanda Bourenane
le Chœur de Colchide et le Chœur d’Athènes

Yasmine Haller
le Chœur de Colchide et le Chœur d’Athènes

Ipek Kinay
le Chœur de Colchide et le Chœur d’Athènes

Avec le généreux soutien d’Aline Foriel-Destezet, grande ambassadrice de la création artistique
et le soutien de la Fondation pour la Comédie-Française.

Durée : 1h30 sans entracte

Comédie Française
Salle Richelieu
du 12 mai au 25 juillet 2023

21 mai 2023/par Christophe Candoni
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1 réponse
  1. Sally Bentahar
    Sally Bentahar dit :
    20 mai 2023 à 21 h 40 min

    Merci pour votre analyse et critique
    Nous étions désespérées de toutes ces critiques négatives dans la presse figaro, médiapart …
    Nous avons adoré vraiment cette représentation qui restera longtemps dans notre mémoire.
    Nous avons été profondément touchées par la mise en scène et par le jeu des comédiens …
    Un grand merci pour ce moment inoubliable

    Répondre

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