Têtes d’affiche de la Biennale de Flamenco au Théâtre national de Chaillot, les deux artistes transcendent leur danse. Portraits en mouvements.
Rocío Molina, l’intense
« Je ne connais pas d’autre vie que celle-là. J’ai accepté d’être mariée à mon art. Ce n’est pas triste pour autant. Il y en a d’autres possibles. Mais je n’échangerais pas la mienne » nous déclara un jour Rocío Molina. A voir son engagement sur scène, on comprend mieux ses paroles. Prodige autant que précoce, celle qui a dansé dès l’âge de 3 ans est passée par le Conservatoire royal de danse de Madrid, a croisé Maria Pagès, dansé avec Lara Rozalen. De Almario à Oro Viejo ou Afectos, son flamenco n’a de cesse de pratiquer le pas de côté, se frottant aux guitares électriques ou à la danse contemporaine. Les créations de Rocío Molina s’enchaînent à un rythme soutenu depuis 2005. Le Prix national de danse viendra récompenser la soliste pour « son apport à la rénovation de l’art flamenco, sa souplesse et sa force comme interprète capable de dominer avec liberté et audace les registres les plus divers». Dans la foulée du rénovateur qu’est Israel Galvan, la danseuse native de Vélez-Mélaga inscrit son art dans le présent. Au point de soulever d’indignation les tenants d’un flamenco traditionnel. On se souvient encore d’une critique parue dans un quotidien espagnol après la création de Bosque Ardora à Séville « accusant » la Molina de vouloir la mort du flamenco ! Pas moins. Reconnue depuis un peu partout en Europe et au-delà, Rocío Molina retrouve Paris en majesté.
Andrés Marin, le chef de file
Que ce soit avec des cloches géantes au cou ou costumé de latex, Andrés Marin dégage cette sérénité propre aux maîtres. Autodidacte, quoique fils d’artistes flamenco, il est d’abord soliste avant de créer sa propre compagnie en 2002. Le sévillan est à l’aise sur toutes les scènes où il dompte les improvisations, s’amuse du mythe de Don Quichotte, dialogue également avec une nouvelle génération d’interprètes. Il excelle dans la prise de risque, dépoussiérant la danse quitte à prendre son public par surprise. Dans son studio de poche à Séville, il travaille ou donne des cours à l’écoute du murmure de la ville. L’essentiel pour Marin est de rester dans le vif du sujet. On dit d’Andrés Marin qu’il est un des plus grands connaisseurs de l’histoire du flamenco, sa danse, sa musique, sa poésie. Prix de la danse Giraldillo en 2020, Prix national de la danse en 2022, Andrés Marin a fait événement avec le spectacle Magma en duo avec Marie-Agnès Gillot. De Blanca Li à Kader Attou, ils sont nombreux les chorégraphes à avoir mis en scène ce grand danseur. Mais c’est en solitaire qu’il brille au final.
Deux spectacles, deux flamenco-s
Vuelta a Uno de Rocío Molina s’inscrit dans la Trilogie des guitares de la chorégraphe. Dialoguant avec le musicien Yerai Cortès, elle s’y révèle presque comique jouant avec un micro suspendu ou son éventail. Mais lorsque la frappe de ses pieds « répond » aux cordes de la guitare, on retrouve l’immense interprète qu’est Rocio. Recto y Solo, création mondiale à Chaillot de Andrés Marin avec le guitariste Pedro Barragan voit le soliste revisiter les écrits de Vicente Escudero. Ce dernier, critique et interprète de flamenco du début du XXe siècle, sera le premier bailaor à défendre la seguiriya, l’une des structures les plus complexes du flamenco. Marin déconstruit à façon les identités de genre, donnant à sa danse une portée singulière. « Je préfère danser comme un inconscient que comme un intelligent » dira Escudero. Andrés Marin n’en est pas si loin.
Un futur flamenco
Porté par des festivals come l’historique Biennale de Séville ou, en France, Arte Flamenco, le festival de Nîmes ou la Biennale de Chaillot, le flamenco contemporain connaît un véritable engouement. Pourtant l’économie du genre reste fragile. L’Espagne n’offre pas les soutiens financiers que propose la France et ses théâtres ; ainsi pour beaucoup d’artistes du Flamenco, il faut donner des cours ou, parfois, danser dans des tablaos. Durant la pandémie, une véritable chaîne de solidarité s’est créée pour aider chanteurs, musiciens ou danseurs. Surtout, une génération de danseurs et danseuses questionnent le passé flamenca, trop souvent écrit au masculin. Dans Flamenco Queer, ouvrage de Fernando Lopez Rodriguez, l’auteur raconte autre chose : « Sous l’histoire officielle, la partition genrée des chants et des danses a toujours été renversée de l’intérieur par ses interprètes, par l’affirmation de dissidences de genre et de sexualité au sein même d’un milieu conservateur ».
Philippe Noisette – www.sceneweb.fr
Vuelta a Uno, Rocío Molina 6 et 7 février 2024
Recto y Solo, Andrés Marin 10 et 11 février 2024
Biennale d’art flamenco, Théâtre National de la Danse, Chaillot, Paris du 30 janvier au 11 février www.theatre-chaillot.fr avec David Coria, Olga Pericet, Rocio Molina, Andrès Marin, des bals, des rencontresA lire Flamenco Queer, L’Arche Editeur, 16 euros.
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