Le nouveau directeur musical de l’Opéra de Paris galvanise son orchestre et insuffle à l’ultime opéra de Puccini toute la passion et la chaleur qu’entrave la mise en scène de Robert Wilson au hiératisme appuyé. La production déçoit aussi et surtout d’un point de vue vocal.
Choisi par Alexander Neef et plébiscité par tout l’orchestre pour succéder à Philippe Jordan comme directeur musical de l’Opéra de Paris, le chef vénézuélien n’avait pourtant dirigé qu’une seule fois dans la fosse parisienne avant sa nomination mais il y avait semble-t-il totalement séduit les musiciens. En décembre 2017, Gustavo Dudamel faisait ses débuts à l’Opéra Bastille, déjà dans Puccini, à l’occasion de La Bohème fortement contestée de Claus Guth. Quelques années, une pandémie et un changement de direction après, il ouvre son mandat avec un Turandot qui témoigne de l’harmonie providentielle existant avec l’orchestre tant ce dernier fait montre de puissance et de flamboyance sous une direction solaire qui conjugue force dynamisme et beauté ciselée de façon à embraser l’œuvre tout en apportant soin au détail. De manière enlevée, mais sans excès de nervosité, et toujours avec méticulosité, sont restituées toutes la richesse et la splendeur des couleurs irisées de l’ouvrage. Dudamel livre une lecture particulièrement incisive dans les moments les plus tranchants de la partition mais aussi subtile et délicate, entre nocturne et scintillement. Comme l’orchestre, la foule chorale, condamnée à l’indistinction scénique mais excellemment préparée par Ching-Lien Wu ne mérite que des éloges. Le public est d’ailleurs pleinement conquis.
La belle amplitude sonore déployée énergiquement par Gustavo Dudamel a parfois absorbé les voix qui de toute façon n’ont été guère intéressantes. C’est de là que vient la profonde déception de la soirée : les deux figures centrales de la pièce, dont le rôle-titre, pâtissent d’une interprétation plus ou moins vaillante mais sans charme, sans poésie, sans éclat ni douceur. Elena Pankratova fait une stridente princesse Turandot. C’est elle qui paraît à l’épreuve lors de la scène des trois énigmes, peu audible dans les graves et poussant jusqu’au cri ses aigus acides. Un timbre plus capiteux et velouté aurait été apprécié même si le personnage se distingue par son évidente froideur. Gwyn Hughes Jones, en Calaf, n’est pas plus séduisant ni chaleureux. A-t-on déjà entendu un Nessun dorma aussi peu émouvant ? L’un comme l’autre cumulent d’abord les passages en force vocaux, puis rectifient un peu le tir lors du duo final, disons-le tristanien, point culminant de l’œuvre laissée inachevée qui ici n’atteint pas la tension extatique attendue, même baigné d’une lumière écarlate à l’image de la stricte tunique que porte l’héroïne éponyme, une couleur qui renvoie aussi bien à la passion tout juste naissante de l’inébranlable Turandot qu’au sang versé par sa téméraire opiniâtreté à résister à l’amour en faisant décapiter ses prétendants.
Sans doute les interprètes ne sont pas aidés par le travail de Robert Wilson. Le metteur en scène, scénographe et plasticien, amateur d’art asiatique et influencé entre autres par le théâtre Nô, revient lui aussi à Puccini après une merveilleuse Madame Butterfly où chaque geste, chaque couleur, inspirait un univers profond et fascinant. Dans Turandot, les images et les lumières sont toujours aussi soignées mais la magie n’opère plus. Peut-être parce qu’avec le temps, l’écriture épurée, extrêmement stylisée, qui permettait à l’artiste d’imposer sa différence s’est beaucoup répétée et donc banalisée. Pour preuve, l’entrée de Turandot sur son promontoire surélevé n’est-il pas un décalque de celle de Mélisande autrefois ? On connait le soin et la radicalité avec lesquels Wilson s’affranchit de toute volonté illustrative pour développer un ailleurs abstrait. On lui rend évidemment grâce de ne pas nous servir sur le plateau un énorme faux temple impérial mais plutôt d’évacuer le gigantisme qui colle à l’œuvre. Pour autant, et bien étonnement, la cosmogonie wilsonnienne comporte ici, à défaut de scories décoratives, trop de lourdeurs, à commencer par le ballet immobile de colosses sculpturaux qui gardent le royaume. Elle se fait même parfois volontiers pléonastique alors que tout l’art habituel de son créateur porte sur le contrepoint et la variation. Étale, l’obscure clarté opaline et glacée qui devrait nous élever dans un climat onirique et contemplatif s’avère davantage plomber l’ensemble. A cela s’ajoute une gestuelle caractéristique dessinée à si gros traits par des chanteurs malhabiles qui la rendent ridicule. On note pourtant la présence du trio de choc que forment Ping, Pang, Pong, formidablement incarnés par Alessio Arduini, Jinxu Xiahou et Matthew Newlin en sombres farfadets sautillants et dodelinants à l’excès et assumant parfaitement leur verve grotesque et sarcastique. Par ailleurs, le manque d’inspiration de l’artiste américain se laisse aussi traduire par un statisme outrancier.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Turandot
Dramma lirico en trois actes et cinq tableauxD’après Carlo Gozzi La Fiaba cinese teatrale tragicomica
Livret :
Giuseppe Adami
Renato SimoniMusique :
Giacomo Puccini – (1858 -1924)Direction musicale :
Gustavo DudamelCheffe des choeurs :
Ching-Lien WuMise en scène :
Robert WilsonCo-mise en scène :
Nicola PanzerDécors :
Robert Wilson
Stephanie EngelnEclairages :
Robert Wilson
John TorresCostumes :
Jacques ReynaudMaquillage :
Manu MalliganVidéo :
Tomek JeziorskiDramaturgie :
José Enrique MaciánOrchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Choeur d’enfants de l’Opéra national de ParisAvec le soutien exceptionnel de Aline Foriel-Destezet
Turandot sera diffusé sur France musique le 8 janvier 2022 à 20 heures dans le cadre de l’émission « Samedi à l’Opéra » présentée par Judith Chaine
Distribution
Turandot :
Elena PankratovaLiù :
Guanqun YuCalaf :
Gwyn Hughes JonesTimur :
Vitalij KowaljowAltoum :
Carlo BosiPing :
Mattia OlivieriPang :
Jinxu XiahouPong :
Matthew NewlinLe Mandarin :
Sava VemićDurée: première partie 1h20 – entracte 30 – deuxième partie 40 min
Opéra Bastille – du 01 au 30 décembre 2021
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