À l’occasion de la 3ème Nuit du Cirque (12-14 novembre 2021), le pôle régional cirque Le Mans fait son cirque a organisé le 13 novembre un rallye urbain et nocturne. En bus, une centaine de spectateurs ont pu se rendre d’un lieu à l’autre de la ville pour découvrir des solos et des duos intimistes, inattendus. Une belle occasion de découvrir le travail de terrain mené depuis 2016 par Richard Fournier et son équipe, qui devrait bientôt être récompensé par la labellisation nationale de leur structure.
En matière de création et de diffusion, le pôle régional Le Mans fait son cirque ne se contente des recettes existantes. Pour ancrer au mieux le cirque dans la ville, l’équipe de cette structure installée dans un quartier prioritaire, avec Richard Fournier à la direction artistique, fait preuve d’invention. Pour l’ouverture de sa saison 2021-2022, elle proposait ainsi une « expérience ferroviaire inédite ». Du 10 au 12 septembre, les quatre artistes associés au lieu – la trapéziste et chanteuse Samantha Lopez, le magicien Yann Frisch, la danseuse et acrobate Aude Martos et le jongleur Johan Swartvagher – et quelques invités – les jongleurs du collectif Protocole Paul Cretin, Thomas Dequidt et Sylvain Pascal, Pietro Selva Bonino et l’acrobate et musicien Mehdi Azema – ont investi une rame de TER mise à leur disposition par la SNCF.
Née d’une carte blanche, la traversée qu’ils ont proposée à leurs voyageurs illustre bien l’état d’esprit de la maison : il s’agit de faire dialoguer le cirque contemporain avec un maximum d’autres langages. Et d’ainsi en partager les diverses expressions avec les habitants de la ville, le plus intimement possible. Composé d’un festival qui existe depuis 2001 et de la Cité du cirque, qui accueille chaque année en résidence entre 25 et 30 compagnies de cirque et où est aussi implantée une école, Le Mans fait son cirque affirmait aussi avec cet événement hors-piste son désir de sortir de ses propres cadres. Cela notamment dans la perspective de sa labellisation en Pôle National Cirque, qui ne devrait guère tarder.
En train ou en bus, le cirque sillonne Le Mans
La participation du Mans fait son cirque à la 3ème Nuit du Cirque, organisée par l’association Territoires de Cirque avec le soutien du Ministère de la Culture, s’inscrit dans la démarche d’inscription dans un territoire décrite plus tôt. Cette fois, c’est non plus en train que les spectateurs ont été invités à monter le 13 novembre 2021, mais en bus. Cela sans guère plus d’explications que celles-ci, qui figurent sur le site internet de la structure : « On vous emmène en bus pour une virée nocturne au Mans : vous irez de spectacles en surprises dans différents lieux de la ville ! Ici un couple danse pour la vie, là un homme écrit une lettre sur son vélo, ailleurs une ancienne gymnaste se livre à cru… Sans oublier l’étape ravitaillement pour tenir la distance de cette folle nuit ! Alors, vous venez ? ».
Au programme, cinq propositions : Amants de la Cie Cirque Exalté, Cruda de Constanza Sommi et Oratorem de Benjamin Renard, tous deux membres du collectif À Sens Unique, Obake du collectif Maison Courbe et Violent de la Société Protectrice de Petites Idées, qui finalement n’a pas pu être au rendez-vous. Ce sont donc quatre formes légères et brèves – des solos et des duos d’environ 30 minutes chacun –, que cent personnes ont eu la chance de découvrir, pour un tarif aussi compétitif que toutes les propositions du Mans fait son cirque : de 4 à 8 € la nuit, tartines, soupe et boissons comprises. À portée de tous, cette Nuit singulière fut l’occasion pour ses participants de mieux connaître le futur Pôle National Cirque de la Ville, ainsi que la scène circassienne locale. Car pour construire son rallye nocturne, Richard Fournier a fait appel des artistes installés pour la plupart dans la région. Et c’est en voisins, en intimes, qu’ils ont habité la Nuit.
Petits cirques entre intimes
C’est à la Cité du Cirque, près de laquelle se dressera bientôt le chapiteau permanent que la Ville du Mans offre à son pôle cirque – dans sa logique de labellisation nationale, il pourra ainsi accueillir des spectacles en diffusion et en création –, que le rendez-vous est donné à 20h30. Richard Fournier et son équipe ne donnent que le minimum d’informations nécessaires sur le déroulé de la soirée : ils rappellent le moyen de transport qui mènera tout le monde d’un spectacle à l’autre, et l’heure approximative de la fin du parcours, 1h30. On s’installe dans un gradin circulaire juste assez grand pour nous accueillir tous. C’est alors seulement que l’on découvre ce qui nous attend. Sara Desprez et Angelos Matsakis, fondateurs et directeurs artistiques de la compagnie Exalté créée en 2009, se présentent à nous avec une simplicité qui nous les fait d’emblée apprécier : ils s’aiment depuis 17 ans, nous disent-ils, et parmi les nombreux langages qu’ils parlent ensemble, il y a ceux de la danse et de l’acrobatie. Avec leur duo Amants, ils sont là pour les partager avec nous.
Rassasiés de tendresse et d’humour, on monte dans le bus vers une destination et un spectacle inconnu. On arrive à La Fonderie, ancien bâtiment industriel investi depuis 1985 par le Théâtre du Radeau de François Tanguy, lieu de création et de travail pour l’heure vidé de tous ses occupants à l’exception d’un seul : Benjamin Renard, l’un des membres fondateurs d’un autre collectif de cirque basé au Mans : À sens unique. Seul avec son vélo au milieu d’un gradin circulaire qui n’occupe qu’un tout petit espace de la grande Fonderie, lui aussi s’adresse à nous sans passer par la fiction. Autobiographique, ou autofictif, son Oratorem créé pour se jouer en appartement est pour son auteur et interprète une remontée dans le temps, jusqu’à l’enfance dominée par une figure maternelle complexe. Si chaque pièce du rallye fait sens en elle-même, leur succession donne à chacune un supplément d’âme.
Rallye des métamorphoses
Après une petite collation, on arrive au troisième spectacle de la soirée sans avoir besoin de passer par la case bus. Nous voilà dans le gymnase contigu à La Fonderie, où Constanza Sommi, elle aussi membre du collectif À Sens Unique, vient à son tour nous offrir son mélange très personnel de cirque et de récit. Une alliance assez rare dans le paysage des arts de la piste actuels, qui est au Mans des plus heureuses. Comme ses deux prédécesseurs, l’artiste argentine s’arme d’humour, d’autodérision pour aborder dans Cruda un épisode de son passé : son parcours de gymnaste de G.R.S., « douée, très douée… mais pas assez parfaite pour que l’on se souvienne d’elle ». Par contraste avec son ancienne pratique sportive, le cirque est pour l’artiste un espace d’expression libre, un lieu où exprimer une féminité pas forcément dans les normes. La sensation que de pièce en pièce, le rallye raconte une histoire n’est pas le fait de notre seule imagination : Sara Desprez du Cirque Exalté a mis en scène Cruda. Au Mans, la Nuit du Cirque est une fête entre amis, où toutes les transformations sont permises.
La notion de métamorphose est au cœur aussi de Obake du collectif Maison Courbe, le seul à n’être pas du cru, dont une étape de création est présentée en fin de Nuit, dans l’entrée de l’école supérieure d’art et de design TALM-Le Mans. D’abord créatures désarticulées, qui pour se retrouver, pour s’embrasser doivent se livrer à toutes sortes d’invraisemblables contorsions, Hélène Leveau et Léo Manpoud ont clôturé le rallye en extérieur, nus mais recouverts d’argile. Changeants, ils se rêvent tels des Obake – des « esprits surnaturels métamorphes du folklore animiste japonais » – qui vont de ville en ville à vélo. Les deux artistes aspirent ainsi à faire coïncider leur vie d’artistes avec leurs préoccupations écologiques et sociales. C’est donc sur note riche d’espoirs et d’idées qu’au Mans, se termine la Nuit. En attendant la suite des aventures du pôle cirque.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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