Dans Qui m’appelle ?, Maguelone Vidal part de son expérience de l’homonymie pour imaginer, sur un livret commandé à Magali Mougel, une fugue musicale autour du nom et de son pouvoir.
Qui n’a jamais tapé son prénom et son patronyme sur les Internets afin de traquer et/ou tracer l’existence éventuelle d’homonymes ? À ce petit jeu, force est de reconnaître que certain.es sont mieux placé.es que d’autres… Et l’on imagine que l’on rencontrera au cours de son existence plus de multiples de « Quentin Laurent » (au hasard) que de « Maguelone Vidal » (moins au hasard). C’est cette existence d’une homonymie, l’évocation assez fréquente de celle-ci par leurs entourages respectifs et dans un territoire pas si éloigné que cela, qui a amené les deux Maguelone Vidal à se rencontrer. Et, par la suite, qui a poussé la première, compositrice, metteuse en scène, musicienne et performeuse (à moins que ce ne soit la seconde) à proposer à la seconde, architecte (à moins que ce ne soit la première), à réaliser un projet de concert.
Lorsque le public entre dans la salle, les deux femmes sont déjà présentes dans l’espace de jeu ceint par deux gradins. L’une, l’artiste, est vêtue d’un pantalon de cuir noir, d’une chemise bleue et de bottes ; l’autre, l’architecte, porte un jean, une chemise blanche et des chaussures à talons. Toutes deux, pareillement décontractées, arpentent la « scène » pour aider les spectateur.rices à trouver leur place. Dans ce dispositif bi-frontal où les corps des interprètes sont toujours soumis à nos regards, le plateau est étroit et, au sol du rectangle blanc constituant la scène, les fils de plusieurs micros dessinent des courbes, des ondulations sinueuses.
Il se dit dans cette sinuosité et dans ces volutes fantaisistes des câbles quelque chose du cheminement que Qui m’appelle va emprunter. En un peu plus d’une heure, ce sont bien des boucles, des retours sur, des reprises et des écarts buissonniers que cette création réalise. Dans ce qu’on pourrait qualifier de premier mouvement, les deux Maguelone exposent très prosaïquement, et avec humour, leur homonymie, ce qu’elle peut avoir de frustrant, de cocasse ou d’intrigant – cette sensation de ne jamais être « la bonne », par exemple. Elles abordent également le rapport au prénom : comment ils nous font, comment on s’y fait (ou pas, d’ailleurs). Se répondant, se répétant, parlant de concert – une façon de mettre en doute la singularité de chacune –, elles s’éloignent de leur propre expérience pour esquisser diverses questions, comme l’évolution de l’attribution des prénoms au fil du temps. Revient, entre autres, une citation du dramaturge Samuel Beckett – reprise par ailleurs par le philosophe Michel Foucault : « Qu’importe qui parle, quelqu’un a dit qu’importe qui parle ».
L’on glisse ensuite du dialogue à une forme plus proche du concert, du duo au travail choral. Six interprètes – cinq chanteur.euses et une beatboxeuse –, disséminés dans le public et auxquels les Maguelone Vidal ont progressivement distribué les micros qui jusque là jonchaient le sol, les rejoignent. En demeurant assis.es à leur place – un choix qui signale l’inclusion au plus près du public –, ces complices vont également lister des noms (ceux de nous, spectateur.rices présent.es), puis reprendre des propos précédents du duo. Les prises de paroles et leur étirement vers la forme chantée vont alors se succéder, des déclarations déjà citées étant régulièrement reprises. Revient la question de l’héritage du nom, de ce qu’il façonne, de ce qu’on dissout en décidant de le changer – une interrogation impeccablement portée par la contre-ténor Flor Paichard, qui témoigne au passage de son changement de prénom pour accompagner sa transition.
Si la reprise de propos et d’idées peut renvoyer à une écriture musicale – avec le retour de ritournelles, de refrains –, les redites se font nombreuses, sans être nécessairement fertiles. À tel point qu’un sentiment progressif émerge : celui d’assister à une création aussi inventive que répétitive, aussi stimulante par sa liberté que trop lestée, paradoxalement, par la légèreté de son propos. Le texte de Magali Mougel – qui est le fruit d’échanges avec les interprètes, mais aussi de recherches de l’autrice – lance des pistes souvent passionnantes, mais ne fait, au final, que demeurer en surface – la répétition ne valant pas approfondissement. Si l’on peine à dépasser l’exercice de style, c’est du côté de la musique que l’intérêt se maintient. Emmené.es par Maguelone Vidal en cheffe d’orchestre en retrait, les chanteur.euses et la beatboxeuse vont embrasser, au gré des morceaux, de multiples univers, pouvant aller des chants grégoriens au hip-hop. L’hybridation et l’éclectisme dominent, offrant des prolongements vocaux et musicaux souvent inattendus, aussi ludiques que bien interprétés, aux noms et prénoms convoqués.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Qui m’appelle
Composition musicale, mise en scène, dramaturgie, direction de chœur Maguelone Vidal
Avec Maguelone Vidal, Géraldine Keller (soprano), Julieta Leca (beatbox), Dalila Khatir (mezzo- soprano), Anne Barbier (mezzo- soprano), Flor Paichard (contre-ténor), Léonard Mischler (basse)
Écriture du texte, collaboration à la dramaturgie Magali Mougel
Collectage d’entretiens Maguelone Vidal, Magali Mougel
Regard extérieur, assistanat à la mise en scène Nicolas Hérédia
Mise en voix Ignacio Jarquin
Mise en corps Léonardo Montecchia
Scénographie Emmanuelle Debeusscher
Création lumière Daniel Lévy
Ingénieur du son Axel Pfirrmann
Costumes Catherine Sardi
Régie générale et lumière Mylène Pastre
Régie de production Benjamin GuiraudProduction Intensités, fabrique de créations hybrides
Coproduction Maison de la Musique de Nanterre – Scène conventionnée d’intérêt national – Art et création – Pour la musique ; Festival Aujourd’hui Musiques – L’Archipel – Scène Nationale – Perpignan ; Maison de la Culture d’Amiens – Pôle Européen de Création et de Production – Scène Nationale ; La Muse en Circuit – Centre National de Création Musicale Île-de-France ; Théâtre Molière → Sète, scène nationale archipel de Thau ; Théâtre de Nîmes, Scène conventionnée d’intérêt national – Art et création – Danse contemporaine ; Théâtre + Cinéma – Scène Nationale Grand Narbonne
Soutiens Aide à la Création, Production et Diffusion – Classique Contemporain du Centre National de la Musique ; Aide aux projets musicaux ou pluridisciplinaires de la Maison de la Musique Contemporaine
Accueil en résidence Théâtre des Treize Vents – CDN de Montpellier ; La Muse en Circuit – Centre national
de création musicale ; La Bulle Bleue – ESAT artistique et culturel, Montpellier ; L’Archipel – Scène Nationale de Perpignan ; Maison de la Musique de Nanterre – Scène conventionnée d’intérêt national – Art et création – Pour la musique
Durée : 1h10
Domaine d’O, Théâtre Jean-Claude Carrière, Montpellier
du 4 au 7 décembre 2024Maison des Arts de Créteil
les 17 et 18 décembreThéâtre National Wallonie-Bruxelles, dans le cadre du Festival Les mots à défendre
les 15 et 16 mars 2025Théâtre Durance, Scène nationale de Château-Arnoux-Saint-Auban
le 25 marsThéâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, Scène nationale
durant l’automne 2025
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