À l’heure où la santé mentale est érigée en cause nationale, Lisa Guez et sa troupe font de la technique thérapeutique du psychodrame le cœur de leur dernière création. Un spectacle instructif et joyeux qui, bien qu’il s’éparpille et s’étire, ouvre de nombreuses fenêtres sur les vécus féminins.
Dans le langage courant, « iel m’a fait un psychodrame » revient un peu à « iel m’a fait une scène, une crise ». Cependant, le titre de la dernière création de Lisa Guez et de sa troupe ne renvoie pas à cette réaction supposée excessive, mais à un outil thérapeutique utilisé par des psychologues et psychiatres pour faire extérioriser à leurs patient.e.s leurs émotions, refoulés et autres pensées enfouies. Le psychodrame consiste donc en des simulations théâtrales, des saynètes, des improvisations que les psys mettent en place avec leurs patient.e.s dans certains établissements médicaux. C’est ainsi qu’en compagnie de la psychodramatiste Géraldine Rougevin-Baville, la metteuse en scène, ses six comédiennes – Fernanda Barth, Valentine Bellone, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour et Jordane Soudre –, ainsi que Clara Normand et Sarah Doukhan, ont écrit collectivement ce Psychodrame, à partir d’improvisations partagées au plateau, tant pour imaginer leurs personnages de soignantes que ceux de leurs patientes.
On l’aura noté, tout se conjugue au féminin dans ce Psychodrame. Car, après avoir exploré les arcanes du désir des Femmes de Barbe-Bleue, qui avait valu à la troupe de recevoir le prix du jury et des lycéens du festival Impatience en 2019, c’est maintenant une traversée « des terreurs et des monstres qui peuplent nos inconscients féminins » que propose l’artiste associée à La Comédie de Béthune. Ainsi, défilent devant les soignantes, une femme quasi mutique, une mère femme-serpent, une jeune érotomane et une romantico-pornographe enceinte. Autant de catégories réductrices, bien sûr, qui étiquettent des psychés border, mais somme toute complexes, ordinaires et représentatives de traumas largement partagés – sachant qu’évidemment les psys, prises dans leurs problèmes privés et professionnels, ne sont pas exemptes de ces nœuds intimes que les séances de psychodrames vont également conduire à révéler, et à soigner. Le mérite de ces psychodrames, outre leurs vertus thérapeutiques, réside également dans leur théâtralité naturelle, tant et si bien que, malgré l’apparente gravité du sujet, l’exploration des troubles psychiques s’opère gaiement à travers des mises en scène qui, entre un papier peint qui parle et un gang-bang avorté, déclenchent le rire et ne se posent aucune limite.
Pour autant, dans sa répétitivité et les procédures qu’il implique – accueil de la patiente, mise en place du psychodrame, débriefing –, le dispositif du spectacle devient petit à petit monotone, même si le processus de soin est doublé d’intrigues concernant la survie du service et les relations interpersonnelles des soignantes. À se disperser également en ces multiples fils, l’action tend à rester à la surface, à ne pas creuser suffisamment ses personnages et ses situations. Elle paraît hésiter entre la plongée souterraine dans les psychés et l’amusement plus léger des situations farfelues que produisent les séances. L’écriture collective dirigée par Lisa Guez a, certes, les vertus remarquables de l’horizontalité, mais conduit à un spectacle qui paraît ne pas approfondir suffisamment ses sujets.
Les menaces sur la survie du service, et même de l’hôpital, tout comme l’arrière-plan d’une société au bord de l’effondrement que la solidarité sororale de ces jeunes femmes tente d’endiguer, en perdent de l’impact. Pour autant, mené par une troupe de comédiennes qui dessinent nettement leurs personnages sans jamais les faire tomber dans des types standards, Psychodrame place au premier plan quelques-uns des écueils que les femmes doivent affronter dans leurs vies. Par l’intermédiaire de sa théâtralité qui reprend et déjoue les attendus du féminin, la troupe ouvre également des perspectives précieuses et variées sur des vécus à la fois communs et originaux, dans un spectacle qui marie le rire et le grave, et diffuse aux spectateurs énergie et bienveillance. Chacune et chacun y pensera à des archétypes ou à des proches, et Psychodrame ajoute ainsi, avec humour et sensibilité, à la visibilité croissante du vécu des femmes au théâtre une nouvelle pièce qui donne à (re)penser leur place dans nos sociétés.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Psychodrame
Conception et mise en scène Lisa Guez
Avec Fernanda Barth, Valentine Bellone, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour, Jordane Soudre
Collaboration à la mise en scène et à la dramaturgie Sarah Doukhan
Création lumières et scénographie Lila Meynard
Réalisation du décor dans les Ateliers de construction du ThéâtredelaCité sous la direction de Michaël Labat
Création sonore Louis-Marie Hippolyte
Conseil scientifique Géraldine Rougevin-Baville
Collaboration artistique et production Clara Normand
Regard chorégraphique Cyril ViallonProduction Compagnie 13/31
Coproduction Comédie de Béthune – CDN Hauts-de-France ; ThéâtredelaCité – CDN de Toulouse Occitanie ; Bain Public Saint-Nazaire ; Quai des rêves, Scène de territoire pour le théâtre de la Ville de Lamballe-Armor
Soutien Les Tréteaux de France – CDN (résidence), Bain Public Saint-Nazaire (résidences)
Avec le soutien de la Région Bretagne et du ministère de la culture – DRAC BretagneLa Compagnie 13/ 31 est conventionnée par le ministère de la culture – DRAC Bretagne.
Durée : 2h20
Comédie de Béthune – CDN des Hauts-de-France
du 8 au 12 octobre 2024Théâtre de Suresnes Jean Vilar
les 14 et 15 novembreThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie
du 26 au 30 novembreThéâtre de la Ville, Paris
du 3 au 12 décembre
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