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« Prélude de Pan », la sublime communion de Clara Hédouin

Coup de coeur, Festival d'Avignon, Les critiques, Théâtre, Villeneuve en Scène
Clara Hédouin crée Prélude de Pan au Festival d'Avignon 2025
Clara Hédouin crée Prélude de Pan au Festival d'Avignon 2025

Photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Conçu comme une préfiguration du magnifique Que ma joie demeure, le non moins subtil et délicat Prélude de Pan de Clara Hédouin allie la fable de Giono et la réalité agricole d’aujourd’hui, le fantastique et le concret, la Nature et les Hommes au long d’un spectacle itinérant qui défend, avec sensibilité et intelligence, l’importance de notre rapport étroit au vivant.

Qu’elle est belle, et rare au théâtre, cette réminiscence olfactive, celle d’une odeur de menthe qui, dès les premiers instants de Prélude de Pan, nous projette deux ans plus tôt, dans un coin perdu de nature situé près de Barbentane. Instantanément, on se souvient avoir été marqué, à l’époque, par l’odeur du thym sauvage qui poussait là, sans aucune intervention humaine pour le faire prospérer, en lisière de cette plaine d’où avaient surgi cinq silhouettes colorées, comme autant de personnages de Que ma joie demeure. Assis dans cet espace, émerveillé par l’ambiance entre chien et loup propre au petit matin, à cette heure où les cigales ne sont pas encore éveillées, nous avions été saisi par une image digne d’une toile de maître, par ce tableau qui ouvrait le spectacle déambulatoire de Clara Hédouin, et préfigurait son intense beauté esthétique et théâtrale. Dans le cadre, déjà, du Festival d’Avignon, la metteuse en scène s’était alors lancée à l’assaut de l’oeuvre de Jean Giono, dans une exploration sensible et bouleversante du projet de Bobi, cet homme qui entend propager la joie dans un univers paysan au bord de l’asphyxie. Et c’est, justement, par la voix d’un « paysan », Didier Doux, que s’ouvre Prélude de Pan. Céréalier de son état, cultivant 250 hectares de terres au coeur de la Plaine de l’Abbaye où a lieu le spectacle, ce professionnel n’a pas grand-chose à voir avec les hommes du temps de Giono. Partisan et pratiquant d’une agriculture conventionnelle, il tient, avec un aplomb déconcertant, un discours sans aucun complexe, où fertilisation chimique des sols, mécanisation à outrance et recours aux insecticides se mêlent allègrement. À ses yeux, tous les moyens semblent bons pour arriver à ses fins productivistes, y compris lorsqu’ils malmènent la Nature et ses composantes ; à travers lui, il n’est plus question d’alliance entre l’Homme et son environnement, mais d’exploitation pure et simple du second par le premier, quitte à conduire à sa destruction progressive.

Heureusement pour le territoire dont, en parallèle, les deux comédiennes et le comédien décrivent progressivement la topographie, cet agriculteur n’est pas représentatif de la majorité de celles et ceux qui y oeuvrent au quotidien et que Clara Hédouin et Romain de Becdelièvre sont allés rencontrer afin de recueillir leurs paroles d’une incroyable hauteur de vue. Du dernier propriétaire terrien de la Plaine, Guy David, aux maraîchers bios Étienne Coulibaly et Hélène Bertrand, de l’éleveur de chèvres et de cochons en plein air Brice Pontet à la famille Cappeau qui, depuis plusieurs générations, cultive des fruits et des légumes sur l’île de la Barthelasse, toutes et tous sont bien conscients du caractère précieux de la Nature qui les environne, et dont ils prennent le plus grand soin, des apports de la Durance et des crues du Rhône qui engraissent naturellement les sols, mais aussi de l’urbanisation galopante qui, aux alentours, a peu à peu grignoté la surface de terres agricoles disponibles et des menaces plurielles qui pèsent sur leur activité et, en même temps qu’elle, sur eux-mêmes. À ces voix locales – dont l’immense majorité change à chaque fois que le spectacle s’installe dans un territoire pour mieux s’y inscrire –, se combinent bientôt les mots plus universels de Giono, ceux de Prélude de Pan que, alternativement, Hatice Özer, Pierre Giafferi et Clara Mayer narrent et incarnent. Dans cette courte nouvelle fantastique, l’auteur plonge dans la vie d’un village (alpin) sous l’orage, avec, toujours, ce goût mêlé pour les Hommes, la Nature et le paysage. À la manière de Bobi dans Quand ma joie demeure, un mystérieux étranger s’invite dans cette communauté et, en voyant une colombe en train d’être molestée par une brute épaisse du cru, fait émerger une vague vengeresse nourrie par quelques notes d’accordéon – transformé ici en harmonica. Les villageoises et les villageois sont alors pris dans une transe qui les dépasse, où l’alcool coule à flots, où la fête votive bat son plein et où les animaux s’invitent bientôt, non pas en tant que simples spectateurs, mais comme acteurs de cette orgie proto-apocalyptique.

Cette fiction à l’étrangeté magnétique, Clara Hédouin ne la livre pas entièrement dans l’arène circulaire où les spectatrices et spectateurs ont d’abord pris place. Conçu comme une préfiguration de Que ma joie demeure, Prélude de Pan en adopte le principe itinérant, et le public est bientôt invité à cheminer de point d’étape naturel en point d’étape naturel – patiemment et savamment choisis par la metteuse en scène au gré d’un très fin travail de repérage préalable –, en suivant les trois comédiens dans leur course folle – parfois magnifiquement exécutée à travers champ. En même temps que la nouvelle de Giono, il découvre alors un espace, celui de la Plaine de l’Abbaye, où la végétation luxuriante s’avère typique des espaces humides – avec ses joncs, ses roseaux et ses peupliers argentés –, sauvages – avec ses mûriers au travers desquels il faut se frayer un chemin sans s’y frotter –, mais aussi agricoles, avec cette ancienne cabane de vigne rongée par le retour de la Nature et ce magnifique champ de tournesols, qui sert de cadre aux deux derniers tableaux de cette escapade, où s’invitent quelques fragments de Que ma joie demeure. Comme les personnages de Giono et les comédiens qui portent leurs voix, les spectatrices et spectateurs se retrouvent alors en position physique de faire corps avec la nature, de sentir les pissenlits fanés leur piquer les chevilles, d’apprécier le doux contact des herbes hautes qui leur frôlent les mollets, de humer le parfum enivrant de l’herbe fraîchement coupée, mais aussi d’admirer ce paysage débordant de beauté, auquel le mistral qui soufflait par rafales au soir de la première donnait une vivacité et un mouvement des plus renversants – tout en compliquant la tâche des comédiennes et du comédien, obligés de pousser encore plus franchement leur voix.

Ainsi renvoyé à son statut d’espèce dans l’espace, sensibilisé à la splendeur de l’environnement qui les entoure, chacune et chacun est alors mûr pour se rapprocher des paysans d’hier, ceux de Giono, et d’aujourd’hui, ceux dont les voix se mettent à retentir à nouveau. Et c’est dans ce puissant mélange, qui, à lui seul, crée de la réflexivité, que Clara Hédouin réussit, une nouvelle fois, son coup. Portée par un trio à l’imperturbable talent, source de solidité chez Pierre Giafferi, d’effronterie chez Hatice Özer ou d’immense sensibilité chez Clara Mayer, cette proposition à la lisière entre le théâtre de fiction et le théâtre documentaire se plaît à brouiller toutes les frontières, à lever toutes les barrières, pour que tout tienne (enfin) ensemble, jusqu’à se confondre. Le cadre d’expression et les mots exprimés, le réel et le fantastique, la dureté de la tâche et la beauté du monde, les forçats de la terre des années 1920-1930 et les travailleurs du sol du temps présent, les personnages et leurs narrateurs, les témoins et les acteur·rices, Prélude de Pan et Que ma joie demeure, les témoignages et la fable et, bien sûr, l’Homme et la Nature… Tout semble s’unir et communier de concert, comme en témoigne cette dernière scène où, non content d’avoir endossé les avatars de Giono, Pierre Giafferi se munit d’oreillettes pour se laisser traverser par les propos d’un témoin, d’une éloquente pertinence, avant de les transmettre en direct à celles et ceux qui l’écoutent. Grâce à cet enchevêtrement d’une somptueuse organicité, les agriculteurs d’aujourd’hui sont alors institués en dignes héritiers de ceux d’hier, capables, eux aussi, de faire oeuvre d’art, et de nous embarquer dans leur combat quotidien pour la protection du vivant.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Prélude de Pan
Texte Jean Giono
Adaptation Clara Hédouin, Romain de Becdelièvre
Mise en scène Clara Hédouin
Avec Hatice Özer en alternance avec Loup Balthazar, Pierre Giafferi, Clara Mayer
Régie son Jérémie Tison
Coordination technique André Neri

Production Collectif 49701 / Manger le soleil
Coproduction Festival Les Tombées de la Nuit (Rennes), Pronomade(s) en Haute-Garonne Centre national des arts de la rue et de l’espace public (Encausse-les-Thermes)
Coréalisation Festival Villeneuve en Scène, Festival d’Avignon
Avec le soutien de DRAC Auvergne Rhône-Alpes

Durée : 2h

Festival d’Avignon, Plaine de l’Abbaye, Villeneuve-lès-Avignon, avec le Festival Villeneuve en Scène
du 8 au 20 juillet 2025, à 18h30

Festival du Moulin de l’Hydre, Saint-Pierre-d’Entremont
le 6 septembre

9 juillet 2025/par Vincent Bouquet
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