Au Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, la directrice du CDN Catherine Marnas et le Portugais Nuno Cardoso mettent en scène L’Orestie, revisitée par Gurshad Shaheman. Les Atrides deviennent nos contemporains, et l’on n’y comprend plus rien.
Évidemment que les mythes et les tragédies grecs nous fondent sur le plan civilisationnel. Bien sûr qu’il est passionnant (voire nécessaire) de réinterroger ces textes sublimes, afin de comprendre la démocratie et ses dévoiements, l’universalisme et ses écueils, les idoles et leur face cachée. Assurément qu’il est utile de (re)lire ces auteurs à l’aune des rapports de forces qui sous-tendent notre occident déclinant. Mais on ne peut pas leur faire dire et leur faire faire n’importe quoi à ces Grecs ; il y a des limites quand même. Pour que les vents se lèvent en est l’illustration. Si les idées politiques véhiculées par la pièce paraissent justes, si la performance des comédiens au plateau est excellente, si le spectacle (trois heures vingt) demeure divertissant, le télescopage entre le texte d’Eschyle et notre actualité sociale et géopolitique frise le grand n’importe quoi.
Résumons. Ou plutôt, tâchons de résumer. La trame de L’Oréstie, écrite par le tragédien grec au Ve siècle avant J.-C, constitue le fil rouge de la pièce : après dix ans d’une guerre sans merci à Troie, Agamemnon est de retour à Argos, où il se fait assassiner par sa femme Clytemnestre, laquelle se fait tuer par son fils Oreste (le Atrides, en gros). Seulement ici, l’action se déroule au Moyen-Orient, Agamemnon est dépeint comme un chef de guerre américain qui prétexte son invasion par le désarmement nucléaire de ses rivaux, le chœur est composé par des femmes meurtries puis des militants néo-fachos, Clytemnestre est une dirigeante écolo-féministe… Et pendant ce temps, les nouvelles générations se défoncent au MDMA en boîte… Et Apollon se prend pour un magnat des médias… Et que ça commence quand même à faire beaucoup… Comme si tous les sujets du moment avaient été jetés en vrac au plateau (et sur Eschyle). Et advienne que pourra : vive la magie du théâtre !
La magie du théâtre peut beaucoup, mais rien face à un texte (au mieux) confus, (au pire) opportuniste – parce que dans l’air du temps. L’auteur, Gurshad Shaheman, a répondu à la commande de Catherine Marnas (la directrice du CDN de Bordeaux) et Nuno Cardoso (le directeur du Teatro Nocional São João, à Porto, au Portugal) qui signent le spectacle à quatre mains. Ces derniers font de leur mieux, compensent les faiblesses textuelles par une mise en scène hyper lisible, un sens du rythme indéniable, et, surtout, une direction de (jeunes) acteurs formidables, français et portugais. Signalons aussi notre plaisir à entendre les deux langues ainsi mêlées (chacun se comprend ; une belle idée). Mais rien n’y fait : sans poésie et avec des rapprochements sans queue ni tête entre l’ancien et le moderne, on peut être diverti, mais la justesse des émotions et la pertinence des idées ne sont pas au rendez-vous.
Igor Hansen-Løve – www.sceneweb.fr
Pour que les vents se lèvent
Texte Gurshad Shaheman
Mise en scène Nuno Cardoso et Catherine MarnasAvec 6 comédien·nes français·es :
Zoé Briau,
Garance Degos,
Félix Lefebvre,
Léo Namur,
Mickaël Pelissier,
Bénédicte Simon,
et 6 comédien·nes portugais·es
Carlos Malvarez
Gustavo Rebelo,
Inês Dias,
Telma Cardoso,
Teresa Coutinho,
Tomé QuirinoAssistanat à la mise en scène Janaína Suaudeau
Lumières José Alvaro Correia
Scénographe Fernando Ribeiro
Création sonore Esteban Fernandez
Costumes Emmanuelle ThomasEn partenariat avec le Teatro Nacional São João (TNSJ), Porto et le FAB – Festival international des Arts de Bordeaux Métropole
Projet labellisé dans le cadre de la Saison France-Portugal 2022 de l’Institut français
Production TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, Teatro Nacional São João (TNSJ), Porto
Avec le soutien de l’Institut français, du fonds d’insertion de l’éstba financé par la Région Nouvelle-Aquitaine, de la DRAC Nouvelle-Aquitaine, de la Ville de Bordeaux – Institut FrançaisDurée 3h20
Spectacle en français et portugais surtitré en français4 – 8 octobre 2022
Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine20 octobre – 6 novembre 2022
Teatro Nacional São João (TNSJ), Porto (Portugal)16 – 17 mars 2023
Le Meta, Centre dramatique national de Poitiers1er – 7 avril 2023
Le Préau, Centre dramatique national de Vire
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