À 31 ans, l’artiste met en scène une pièce oubliée d’Edmond Rostand sur le triste destin de Napoléon II, L’Aiglon. Une véritable obsession qu’elle cultive depuis l’adolescence. Portrait.
C’est l’histoire peu banale d’une jeune fille qui est tombée folle amoureuse d’une pièce de théâtre à 20 ans. « Cela fait maintenant une décennie que celle-ci fait battre mon cœur, explique-t-elle. Et toujours, elle me fait rire, pleurer, puis pleurer de rire. » La jeune fille s’appelle Maryse Estier. La pièce s’intitule L’Aiglon. Bien que signée de la main d’Edmond Rostand, celle-ci est rarement lue, rarement citée et rarement montée. « C’est un chef-d’œuvre caché derrière le trop grand nez de Cyrano », poursuit l’intéressée, mais un chef-d’œuvre au moins aussi imposant que la péninsule cyranesque : six actes, 52 personnages et plus de quatre heures de spectacle. Narrant les désolantes tribulations de Napoléon II, mort de la tuberculose à 21 ans à Vienne, cette pièce fut l’un des cartons de l’année 1900, avec Sarah Bernhardt dans le rôle-titre. Et puis elle sombra l’oubli, étrangement… Aujourd’hui, du haut de ses 31 ans, portée par une ferveur théâtrale contagieuse, Maryse Estier en propose une version enthousiasmante de trois heures trente. Non seulement son amour de jeunesse est intact, mais il est partagé. Avec L’Aiglon, elle s’impose comme une metteure en scène prometteuse dont on aurait tort de ne pas suivre le travail.
Tout commence dans un village perdu dans le canton helvète de Vaux. La jeune Maryse Estier a la double nationalité franco-suisse. Son père est paysagiste, sa mère assistante dentaire. « L’accès à la culture n’était pas évident, précise-t-elle. Avec l’école, j’allais au spectacle une à deux fois par an. Je n’étais pas prédisposée aux arts dramatiques. » Et pourtant, curieusement, l’ado se met à lire du théâtre, beaucoup de théâtre. « J’étais dyslexique. Or, ces livres-là, avec leur mise en page espacée, étaient les seuls que je pouvais suivre du début à la fin. » Elle dévore Molière, Marivaux, Feydeau. Elle tombe sur Rostand, découvre Cyrano, qui la mène jusqu’à L’Aiglon. Le coup de foudre. « Je n’avais aucune référence historique, se souvient-elle. Pourtant, je me suis immédiatement retrouvée dans le récit de ce jeune homme malade, mais ambitieux, prisonnier, mais fougueux, dominé par un héritage trop lourd à porter et gangréné par la peur de ne pas être à la hauteur. Et j’étais évidemment subjuguée par ces alexandrins sublimes. » Maryse Estier a 15 ans. Elle sait que son avenir se jouera sur les planches.
La voilà étudiante, du genre brillant. Elle passe par le Conservatoire d’art dramatique de Genève, devient assistante au Théâtre national de Nice et finit par décrocher une place à l’ENSATT, la prestigieuse « rue Blanche » de Lyon, en 2013, section mise en scène. Au concours d’entrée, Maryse Estier évoque son amour L’Aiglon, évidemment. Erreur ! « On m’a rétorqué que Rostand était complètement has been, se souvient-elle. Et, pour couronner le tout, on m’a assuré que L’Aiglon était immontable. La preuve : personne ne le monte ». Soit. Maryse Estier suit les cours d’Alain Françon et Michel Vittoz. Elle travaille sur des auteurs « sérieux », à commencer par Brecht et Racine : tout va bien. « J’acquiers de nouveaux outils dramaturgiques, j’apprends à révéler un texte, je m’arme contre la violence du monde. » Le temps file. Et que va-t-elle proposer pour son projet de fin d’études ? L’Aiglon ! Actes 1 et 2. L’ENSATT redécouvre Rostand. Et Maryse Estier s’en tire avec les honneurs. Trois ans plus tard, elle renouvelle l’exploit. À l’Académie de la Comédie-Française, qu’elle vient d’intégrer, elle doit monter un projet fictif visant à initier les metteurs en scène aux rouages de la production. Et quelle œuvre va-t-elle choisir de défendre ? C’est ce que l’on appelle une idée fixe…
L’exercice du Français a beau être fictif, la jeune femme parvient à convaincre des producteurs de financer sa pièce. La ferveur est intacte. Elle sollicite ses anciens camarades d’école. Accompagnée par douze comédiens, Clémence Longy interprète le rôle du descendant de Bonaparte. La metteure en scène réduit l’intrigue, réécrit des vers (cohérence oblige) et met en pièce ce texte avec « la surprenante richesse de sa langue qui déborde comme une poitrine opulente du corset de l’alexandrin. » Sur les planches, le résultat est une vraie surprise théâtrale. L’artiste avait raison : L’Aiglon est une œuvre injustement oubliée, romanesque à souhait et baroque jusqu’à l’os, regorgeant de tragédie, de drôlerie et peuplé par des personnages magnifiques, à commencer par Flambeau (joué par Cécile Brune), ancien grognard de la garde napoléonienne. Et en même temps, cette œuvre est imparfaite. En témoigne son exposition un peu laborieuse, et la difficulté qu’a Maryse Estier, au début du spectacle, à trouver la tonalité adéquate, entre la moquerie (pour la cour viennoise, ridicule) et l’empathie (pour son protagoniste mélancolique). Mais qu’importe, ces trois heures trente sont traversées par des moments de théâtres inoubliables et des acteurs aussi polyvalents qu’intrépides, Clémence Longy en tête. De toute évidence, Maryse Estier est promise à un bel avenir. « Le bonheur est un rêve d’enfant réalisé à l’âge adulte », disait Freud. Alors, Maryse Estier a déjà de quoi être heureuse.
Igor Hansen-Love – www.sceneweb.fr
Je n’ai pas vu ce spectacle et ne le verrai pas, donc rien à en dire. Sinon que jouer Flambeau en travesti me semble à priori bizarre mais c’est dans le vent…
Ce qui m’agace, c’est le couplet redondant de pièce oubliée, pièce jamais lue, etc… Il est vrai qu’aujourd’hui on monte davantage d’œuvres à effectif plus réduit d’où peut-être l’oubli des professionnels de la profession qui tournent souvent en rond. Mais Cyrano, L’Aiglon et Chantecler restent le tiercé gagnant de Rostand et ceux qui aiment le théâtre ne l’oublient pas.
Bonjour monsieur. Merci pour votre message. Ce n’est pas Flambeau qui est joué pour une femme dans la pièce de Maryse Estier, mais Napoléon II. Par ailleurs, comme précisé dans l’article, la version de 1900, mise en scène par l’auteur, était portée par Sarah Bernhardt : l’actrice incarnait Napoléon II (ai-je appris au moment de la rédaction du papier). Au fond, peut-être que Rostand avait un temps de d’avance sur son époque ! Cordialement, Igor Hansen-Love, sceneweb.fr