Génération sceneweb (8/30). Depuis sa base ligérienne, le metteur en scène aura, ces dix dernières années, créé à un rythme effréné. Avec, toujours, ce soucis des territoires et cette soif d’indépendance chevillés au corps.
Laurent Brethome est un artiste épris, avant toute autre chose, de sa liberté. Son art, il le pratique à l’abri du tumulte parisien, mais pas des regards. Malgré la crise du Covid-19, le metteur en scène compte, cette année, quatre créations, 103 dates de représentations, et se prépare à signer sa 44e mise en scène en moins de deux décennies de carrière. « Je ne suis pas un garçon tactique, mais je bosse, résume-t-il. Un jour, quelqu’un m’a dit que j’étais le « Eric Cantona de ma génération », ce que je trouve assez juste. Si j’ai été un enfant-loup de Rhône-Alpes, formé à Grenoble et à Saint-Etienne, j’ai voulu revenir dans ma région d’origine, les Pays de la Loire, où ma compagnie a obtenu un conventionnement. En tant que vendéen, il était très important pour moi de montrer au public autre chose que la culture Puy du Fou. Avec l’arrivée récente de Thomas Jolly à la tête du CDN d’Angers, nous sommes désormais plusieurs, et je m’en réjouis, à pouvoir porter cela. »
Prix du public du meilleur spectacle pour Les Souffrances de Job au Festival Impatience en 2010, metteur en scène d’un Orfeo remarqué en 2013, programmé avec Riquet au Festival d’Avignon en 2015, artiste associé aux théâtres de Villefranche, de Bourg en Bresse et Jean Arp, le directeur de la compagnie Le Menteur volontaire a accroché, en dix ans, nombre de trophées à son tableau de chasse. « Sauf qu’à chaque fois qu’on m’a proposé de prolonger une association, qu’une porte s’est entrouverte, comme celle des opéras de région ou du réseau jeune public, j’ai décliné les propositions, explique-t-il. Lorsque je fais un spectacle ou que je propose quelque chose sur un territoire, je le fais avec tout mon coeur, mais, une fois que c’est fait, c’est fait. »
Ce qui n’empêche pas l’artiste de se démultiplier, d’aller travailler chez l’habitant, pour les comités d’entreprise et dans les Ehpad, et même d’organiser un festival, Les Esquisses d’été, qu’il veut garder à taille humaine. « Nous accueillons 200 spectateurs par soir, pas plus. Nous avons refusé d’avoir un gradin de 1.000 personnes et de communiquer car, sinon, ce ne serait plus tout à fait la même histoire. Aujourd’hui, nous n’avons pas beaucoup d’argent, mais nous pouvons confier à de jeunes artistes une production pour trois semaines en leur laissant carte blanche. Je ne veux pas que ce festival grossisse davantage car je n’ai pas envie de servir ma propre cause au détriment de la cause que je sers. »
Porter les colères au plateau
Des causes que Laurent Brethome n’hésite pas à servir, aussi, au plateau, à travers les mots de ses dramaturges fétiches tels Hanokh Levin, Georges Feydeau, Christopher Marlowe et bientôt Maya Arad-Yasur dont il adaptera Amsterdam durant la saison 2022-2023. « Je comprends toutes les colères qui s’expriment actuellement et tentent de les passer sur le plateau, par un geste artistique, plutôt que dans des tribunes, assure-t-il. Sauf que, parfois, j’ai peur car il ne faudrait pas qu’un trop-plein de radicalisme de notre part alimente celui que nous entendons combattre. »
Dans cette société de 2020, encore plus tendue que celle de 2010, pourrait-il d’ailleurs remonter aussi radicalement Les Souffrances de Job, qui a marqué l’ensemble des spectateurs qui l’ont vu ? « Je pense que je ne pourrais plus le faire aujourd’hui car le monde est de plus en plus puritain et n’accepterait plus la violence qui était générée sur le plateau, regrette Laurent Brethome. Lorsque j’ai monté, en 2017, Margot d’après Massacre à Paris de Christopher Marlowe, je n’ai, par exemple, pas vendu une date, car les professionnels trouvaient cela trop « violent » pour leur public. C’est une vraie régression qui vient aussi d’une forme de pression, d’ingérence, des politiques sur les politiques culturelles, et d’une génération qui manque sans doute de courage et pense, avant tout, à sa carrière. »
Pour surmonter cet obstacle, l’heure est peut-être venue pour l’artiste de prendre la tête d’un lieu, mais, après trois candidatures déçues, à Bussang et au Théâtre national de Nice notamment, le metteur en scène rechigne. « J’attends que les décideurs interrogent, avant toute autre considération, l’histoire de l’artiste et l’histoire du lieu pour voir si elles peuvent se tutoyer pendant dix ans. Quand on regarde les récentes nominations, il y a une triste équivalence : une de qualité pour une médiocre. Je me porterai à nouveau candidat quand les règles changeront et que les choses seront, disons-le, plus honnêtes », conclut-il avec ce franc-parler qui, toujours, le caractérise.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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