Carnets de création (19/28). A cheval ou en chêne feuillu, Laetitia Dosch entre en quarantaine le vent dans le dos. Son succès au cinéma comme au théâtre doit beaucoup à son audace, et à un mélange de douceur, de déconne et d’écoféminisme.
Comme elle a l’air un peu perchée, on soupçonnait qu’elle avait pris de l’altitude. « Ma famille vient d’un petit village en Suisse, nommé Tinizong, et tout le monde ou presque s’y appelait Dosch. Ce village a maintenant disparu » raconte la femme aux yeux bleus clair, un peu tristes dans le fond.
Née d’un père suisse, rentier, et d’une mère française travaillant dans les ressources humaines, Laetitia Dosch a pourtant grandi à Paris. « Ma famille de théâtre est suisse, mais celle du cinéma est plutôt française » explique-t-elle. Formée à la Manufacture, haute école des arts de la scène de Lausanne, elle y rencontre Marco Berettini (« il m’a fait vivre des expériences extrêmes »), La Ribot (« Elle m’a formé à la réflexion »), ou encore Yves-Noël Génod ( « lui c’est un génie dans l’usage du présent »). Autant de figures décalées de la scène contemporaine qui lui montrent qu’un chemin est encore possible pour des créations vraiment personnelles et originales.
Car au début, la jeune fille de terminale L voulait « simplement » être actrice de cinéma. Elle raconte sa fascination pour Meryl Streep, « l’amour » qu’il y a dans ses interprétations, son « élégance », sa capacité « à toucher quelque chose de super profond chez les humains ». Mais très vite donc, elle écrit, met en scène, dans l’élan de cet enseignement à l’helvétique qui pousse à la création personnelle. Laetitia fait péter en 2013, Un Album en 2015, et le fameux Hate en 2018. Chaque spectacle est pour elle, à travers elle, l’occasion de faire parler les autres, qu’elle adore imiter, tout autant que de parler d’elle. Des formes instables, au bord de la performance, qui jouent avec le présent et l’autofiction, où le comique style stand up, qui tourne parfois limite, cohabite avec « un classicisme qui nous ramène au sacré » à la manière d’une Angelica Liddell . Des objets hors-normes par lesquels elle impose à son tour sa singularité.
Au sujet de Mesure pour Mesure, des frères Ruf, en 2006, le Masque et la Plume avait raillé son interprétation . « De l’extérieur, si je suis drôle, je n’ai pas le physique d’une fille drôle », explique-t-elle. « Pas plus que je n’ai la voix grave d’une fille qui inspire le tragique. Et si l’on considère que je suis jolie, on se dit que je ne devrais pas m’agiter autant ». Malgré elle, Laetitia Dosch échappe donc aux catégories. Volontairement aussi.
« Les gens du stand up comme ceux du rap font ça, d’exploiter leur singularité. A la fois, je trouve ça génial et à la fois je n’ai pas envie d’être un produit ». Car ce qui importe à Laetitia Dosch, le moteur de son travail, c’est la rencontre. « L’endroit où deux personnes sentent qu’elles ont assez de choses à partager, pas à se prendre ». Une sorte « d’antidote » dit-elle à une société où règne la prédation. L’envie d’établir la possibilité de ne pas être exploité et de ne pas exploiter. Cette utopie d’une relation d’égalité et d’harmonie, dont l’échec trame l’histoire de Hate, où, dans son histoire d’amour avec un cheval, le personnage qu’incarne Laetitia devient cette amoureuse dominatrice qu’elle cherche à éviter d’être.
Ce qui frappe avec Laetitia Dosch, c’est d’ailleurs sa douceur, sa prévenance. Comme si elle tenait sous surveillance les monstres qu’elle laisse resurgir sur scène. Un thé au miel qu’elle sert pour accompagner notre entretien. De la délicatesse dans la voix et les gestes. Une nappe où un cerf et une biche s’abreuvent recouvre un guéridon. Tout un bestiaire kitsch, dans son appartement-atelier où perce son esprit de dérision, côtoie des livres on ne peut plus sérieux sur le règne animal.
« Le cheval, il avait besoin que je le domine » ajoute celle qui ne serait pas dupe de la férocité des chatons les plus mignons du Web. Nul refuge donc dans cette omniprésence de la nature qui caractérise désormais aussi son travail. Après Les Corvidés avec Jonathan Capdevielle à Avignon, le duo avec le cheval Corazon dans Hate, Dosch s’est tournée vers les végétaux dans Radio Arbres. Un spectacle émission de radio qu’elle a développé pendant le premier confinement, dans lequel elle anime comme si elle était un arbre, en compagnie de spécialistes du végétal et d’auditeurs qui interviennent en direct en se prenant eux aussi pour des feuillus. Encore une idée incongrue, une sorte de Ménie Grégoire à l’écoute des platanes. Et un projet pour juin qui devait faire échanger entre eux des espèces animales disparues dans la grande galerie de l’évolution du Musée d’Histoire Naturelle. Mais le lieu vient de se retirer et le projet devra trouver un autre point de chute.
Proche de l’écoféminisme car « les femmes comme les animaux ou les végétaux ont été placés dans un cadre où l’on a cherché à les amoindrir », Dosch ne cherche pas pour autant à faire œuvre politique. « Tout est politique, comme on dit, mais les artistes sont là pour révéler des nœuds, pas pour dire comment il faut faire, ni ce qu’il faut penser ». Laetitia Dosch préfère donc user de sa liberté pour brouiller les pistes, se tenir à la frontière du sérieux et de la dérision et mélanger les registres.
Au cinéma, comme au théâtre, elle tient ainsi à ne jamais tomber dans les clichés. « Comme actrice, je me méfie du romantisme, et je n’aime pas forcer le comique ». Dans Une passion simple, film de Danielle Arbid tiré du livre éponyme d’Annie Ernaux, elle incarnera le personnage autofictionnel de la majestueuse écrivaine, quand le film pourra sortir. Une petite revanche pour celle qu’on a encore, dit-elle, du mal à percevoir comme une autrice. En attendant, elle cherche : un.e plasticien.ne scénographe issu.e de l’art contemporain et un.e metteur.e/auteure s’y connaissant en animaux et végétaux pour travailler autour de l’écologie (annonce sérieuse). Son art, c’est bien celui des échanges, des rencontres. Et son génie, le label Dosch, une manière d’être, à part, libre, désuète, utopiste, et pleinement dans l’époque, suspendue entre le monde d’après et un village disparu.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
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