Génération sceneweb (27/30). À la tête du Théâtre de l’Aquarium depuis janvier 2019 avec Samuel Achache, Jeanne Candel orchestre depuis 2009 l’ensemble La vie brève qu’elle a créé. Elle y monte avec ses complices des « opéras avec les moyens du théâtre » faits de matériaux très divers. Comme le sont les rêves.
Jeanne Candel fait partie de ces jeunes directeurs qui, depuis leur arrivée à la tête d’un théâtre, ont autant sinon davantage eu à défaire qu’à construire. Après une première édition de leur festival théâtre et musique « Bruit » en hiver 2019, Jeanne et son binôme Samuel Achache ont dû réfréner leur désir de s’approprier pleinement leur lieu situé dans l’ancienne Cartoucherie du Bois de Vincennes. Ils ont dû annuler leur second rendez-vous annuel prévu au printemps, ainsi que celui qui aurait dû ouvrir l’année 2021. La partie immergée, l’activité cachée de l’Aquarium a toutefois pu se poursuivre en grande partie.
Car plus qu’un lieu de diffusion, Jeanne Candel et Samuel Achache souhaitent faire du théâtre qu’ils vont habiter pendant six ans « une maison de création pour la musique et le théâtre entremêlés. Un toit pour notre recherche et pour les artistes que nous accueillons ». Pour la metteure en scène et actrice, cette aventure aux débuts chaotiques marque un tournant dans sa manière de concevoir le théâtre en collectif. Ou en « ensemble », lit-on sur le site internet de La vie brève qu’elle fonde en 2009, dont les « acteurs, musiciens, metteurs en scène, scénographe, costumier, techniciens se retrouvent régulièrement pour des périodes de recherche et de création ». Sans hiérarchie ou presque, sur un temps long.
Pour l’amour des acteurs-créateurs
Formée au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, c’est notamment auprès du metteur en scène hongrois Arpad Schilling et de sa compagnie Krétakör que Jeanne Candel se forge un goût particulier pour la recherche. C’est au contact de ces artistes qu’elle gagne la confiance en elle nécessaire pour entreprendre son propre travail centré sur l’acteur, qu’elle considère comme un créateur à part entière. Pour sa première création, Robert Plankett (2010), elle fonde le collectif La vie brève. Elle met en place un type d’écriture qu’elle ne cessera ensuite de creuser, tout en la renouvelant à l’occasion de chaque création. « Très répandue dans les années 70, l’idée de l’acteur-créateur s’impose à moi, elle répond à une nécessité intérieure », dit-elle. Si elle assume la mise en scène des spectacles de sa compagnie, Jeanne Candel a besoin de les rêver, de les improviser avec d’autres.
Les artistes qui suivent Jeanne Candel sont au départ essentiellement des amis d’école. Certains resteront, comme Lionel Dray, mais le visage de l’ensemble ne cessera de se transformer de création en création. C’est en cela que l’arrivée de La vie brève à la tête de l’Aquarium est pour elle un changement : si sur le plan artistique, le mouvement continue d’être la règle, un collectif fixe se forme au niveau de la direction. « Notre idéal d’un fonctionnement horizontal nous permet de réfléchir sans cesse sur notre travail, de ne pas nous asseoir sur des habitudes ». Ce goût de la remise en question permanente, du déséquilibre, Jeanne Candel le cultive aussi sur le plateau : en sollicitant les propositions d’artistes aux personnalités diverses, et en rassemblant des matériaux qui le sont tout autant, l’artiste développe un art de l’association libre, improbable. Le surréalisme n’est jamais loin.
Au plateau comme dans un rêve
Sa rencontre avec Samuel Achache fait évoluer l’univers composite de Jeanne Candel vers la musique, déjà présente auparavant mais de manière plus discrète. La création en 2013 de Crocodile trompeur / Didon et Énée, où l’opéra éponyme de Henry Purcell côtoie un discours sur l’harmonie des sphères, une brûlure au troisième degré ou encore une chute dans un corps amoureux, déplace l’artiste. Elle qui définit son rapport à la musique comme « spontané, archaïque, contrairement à la plupart des autres artistes de cette création et plus tard d’Orfeo (2017), la deuxième création que je cosigne avec Samuel », se retrouve à créer des opéras avec les moyens du théâtre. Dans ces pièces qu’elle signe avec Samuel Achache comme dans celle continue de mettre en scène seule, elle reste toutefois fidèle aux grandes lignes de l’esthétique qu’elle déploie depuis les débuts de La vie brève. On y retrouve ses obsessions. On s’y promène comme dans des rêves.
« Après une quinzaine de créations d’envergures différentes, je pense pouvoir que mon théâtre ressemble à un grand continuum intérieur, où apparaissent des motifs récurrents : la mort, le deuil, l’amour, les phénomènes de métamorphose et de renaissance », analyse-t-elle. Autrement, c’est le vivant dans tous ses paradoxes qui nourrit le travail de Jeanne Candel. C’est sa « soif d’absolu, qui cohabite avec un rapport trivial à l’existence », que l’on voit à l’œuvre dans sa manière singulière d’investir l’espace, qu’elle considère comme l’élément premier de son langage. « C’est de lui que viennent les histoires qui se racontent dans mes spectacles » dit-elle, qu’ils soient ou non conçus pour la salle. Ce sens de l’espace nourrit aussi la vie que Jeanne Candel et Samuel Achache veulent donner au Théâtre de l’Aquarium. « Nous voulons explorer tous les recoins du lieu, faire déborder le théâtre sur l’extérieur, sur la vie ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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