Depuis 2005, Fanny Soriano développe avec sa compagnie Libertivore un langage circassien très chorégraphique, où l’Homme se révèle dans son rapport à la nature. Sa nouvelle création, Éther, est née à Marseille dans le cadre d’une Biennale des Arts du Cirque (BIAC) pendant le confinement. Elle présente cette semaine Fractales pour la réouverture du Théâtre de la Cité Internationale.
La piste et la scène, pour Fanny Soriano, sont des espaces où la beauté l’emporte sur le chaos du monde. Lieux d’un combat victorieux de l’espoir contre le pire, ses créations pourraient résonner aujourd’hui d’une manière particulièrement forte. Ses pièces Hêtre, Phasmes et Fractales, qui auraient dû se jouer cette saison. Le Théâtre de la Cité Internationale a pu reprogrammer Fractales pour sa réouverture.
La nature dans le corps
Expulsées, crachées par une sorte de parachute en tissu blanc suspendu en l’air, les danseuses aériennes Pauline Barboux et Jeanne Ragu sont dans Éther des créatures mi-femmes mi-animales qui ont à négocier avec le presque vide qui les entoure. Duettistes depuis plus de dix ans, elles sont pour cela équipées de l’agrès qu’elles ont imaginé ensemble : la Quadrisse, assemblage de quatre cordes verticales qui se termine en principe par une pelote, remplacée chez Fanny Soriano par trois boules suspendues tout près du sol. « Avec ces deux artistes qui ont été mes élèves à l’Académie Fratellini il y a dix ans, j’avais envie de revenir à la base de ma pratique, que j’avais mise entre parenthèses pour travailler avec des objets naturels – des branches, des racines – qui font office d’agrès », explique l’artiste formée au Centre National des Arts du Cirque (CNAC). Entre ciel et terre, les deux interprètes d’Éther se livrent à leur manière à la même conquête que tous les êtres qui peuplent l’univers de Fanny Soriano depuis la création de sa compagnie en 2005 : celle d’un lieu à soi, en phase avec l’Autre et avec la nature.
Dès Libertivore, qu’elle créée avec son compagnon musicien et performeur Jules Beckman, Fanny Soriano développe en effet un langage où l’organique et l’humain se mêlent, très reconnaissable dans le paysage du cirque contemporain. Dans chaque pièce, elle invente un « biotope (sur)naturel ». Un monde avec ses lois, avec sa physique propre, où la place de l’homme n’est jamais gagnée. Dès sa deuxième pièce, Hêtre, elle prend seule les rênes de sa compagnie. Elle interprète elle-même ce solo pour une danseuse et une branche en suspension, jusqu’à ce qu’une blessure l’oblige à renoncer à la piste. Dès lors, c’est par l’écriture, par la chorégraphie, que Fanny Soriano aborde le cirque. Ce qui lui permet de faire vivre en parallèle toutes ses pièces – le triptyque composé de Hêtre interprété par Kamma Rosenbeck, le duo de main à main Phasmes (2017) et la partition pour cinq circassiens Fractales (2019), auquel s’ajoute maintenant Éther – qui auraient toutes dû tourner cette saison comme elles l’ont fait les précédentes.
Un répertoire en mouvement
La notion de répertoire, qui a donné lieu à une table ronde cette année à la BIAC, est essentielle pour Fanny Soriano. Ses créations se nourrissent les unes des autres. Elles grandissent ensemble, se transforment à la façon des éléments naturels qu’elle convoque sur scène : imprévisible, riche en surprises qui questionnent le fonctionnement du vivant. Ce dernier mot étant pour la chorégraphe plus important que jamais : « un spectacle existe sur un plateau, dans un temps partagé entre artistes et spectateurs. C’est pourquoi j’ai décliné la proposition que l’on m’a faite de réaliser une captation d’une des premières représentations d’Éther devant des professionnels ». Filmer une pièce, c’est aussi la figer, alors que Fanny Soriano tient à entretenir un dialogue permanent avec ses pièces, qu’elle suit toutes en tournée. Elle veut pouvoir y ajouter toujours de nouvelles ramifications, de nouvelles branches. Grâce à cette mutation permanente, l’artiste porte des gestes forts de résistance au pire. Des actes poétiques qui avancent droit dans certaines des zones les plus complexes de l’homme et du monde.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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