Carnets de création (9/28). Associée au TNS, l’autrice de théâtre, de romans et de littérature jeunesse vit actuellement un tournant créatif, où l’enchevêtrement des mots a pris le pas sur la construction de l’histoire.
Evoquer Claudine Galea, c’est accepté d’avoir la plume qui tremble. Son parler est à l’image de ses écrits, sous-tendu par une extrême précision de la langue à laquelle il faut s’astreindre pour ne pas risquer de la trahir. Chez elle, il n’est question ni de personnages, ni de pièces. Elle préfère discuter de figures et de textes pour la scène. Autrice associée au TNS depuis septembre 2015, elle compose du théâtre, des romans, des livres pour enfants, mais les range tous dans un unique ensemble, appelé littérature. Son travail n’est d’ailleurs mû par aucune volonté. « La volonté est mon ennemie absolue, s’amuse-t-elle. Quand j’ai de la volonté, je n’y arrive pas. Alors, je me laisse plutôt guider et quelque chose s’impose. »
Ce « quelque chose » qui la « hante et revient, revient, revient sans cesse », Claudine Galea peut « le piocher un peu partout », ce qui explique sans doute l’éclectisme de sa bibliographie. Cette source peut être une image, une phrase, une bribe de conversation ou de lecture. « Actuellement, beaucoup de choses arrivent par des poètes, mais ce n’est pas toujours le cas, précise-t-elle. Il faut toujours que ce quelque chose tilte avec quelque chose en moi de plus secret. Il est alors révélé par ce qui arrive de l’extérieur. »
Point de non-retour
Celle qui a pour habitude d’avoir toujours plusieurs fers au feu, avec au moins un roman et un texte pour la scène en parallèle sur le métier, a connu ces derniers mois « une panne » dans sa belle mécanique d’autrice de théâtre. « A raison d’une douzaine de pages par an, j’ai mis trois ans à écrire mon dernier texte, Un sentiment de vie, que Jean-Michel Rabeux créera en septembre prochain, raconte-t-elle. Depuis son achèvement, il y a un an, je n’ai presque pas réussi à écrire de nouveaux textes pour la scène. J’ai récemment compris que ce dernier était un point de non-retour, que j’étais à un tournant amorcé, sans m’en apercevoir vraiment, avec Au bord. »
Ce tournant, c’est celui de la langue. Claudine Galea l’a si minutieusement tissée qu’elle a réussi à prendre le pas sur l’histoire, à mettre elle-même en jeu des êtres et des mondes. « C’est vraiment à travers la langue que tout se construit désormais, que je tisse du réel plutôt que de construire une histoire, explique-t-elle. Pour l’instant, je suis confrontée à quelque chose de très étrange car cela n’aboutit qu’à des solos, comme celui que j’écris à – et non pas pour – Joséphine Linel-Delmas [une élève-comédienne de l’Ecole du TNS, NDLR] dans le cadre de Ce qui (nous) arrive. » Alors, l’autrice s’appesantit sur le choix des mots, d’un point de vue sémantique, phonétique, et même graphique, et joue avec les échos et les rebondissements que leur compagnonnage génère. « Un mot qui se frictionne à un autre appelle d’autres images, et c’est, à la fois, le paysage et l’inconscient de celui qui parle qui se dévoile », souligne-t-elle.
Se soulever contre la soumission
Du devenir scénique de ses précieux textes, Claudine Galea est soucieuse. Elle regrette que certaines metteurs en scène les aient parfois trahis, « au sens de réduits », à cause, notamment, d’un manque d’attention à leur endroit. « Je me suis rendu compte que la confiance que je pouvais accorder ne suffisait pas et qu’il y avait une nécessité de dialogue, au moins dramaturgique, sur ce que le texte implique comme déploiement au plateau, comme c’est actuellement le cas avec Stanislas Nordey qui monte Au bord, ou avec Jean-Michel Rabeux et Claude Degliame, prévient-elle. Au fond, quand un metteur en scène s’empare d’un texte, j’ai envie de découvrir quelque chose car je ne sais pas tout d’eux. » L’autrice ne s’interdit d’ailleurs pas, un jour, de passer elle-même à la mise en scène, ou plutôt « d’écrire pour mettre en scène, de chercher en même temps aux deux endroits », comme peut le faire Joël Pommerat.
En attendant, Claudine Galea souffre de ne plus voir ce pourquoi elle écrit, la lecture de ses textes en jeu. « Le danger de ne plus pouvoir le vivre est très déstabilisant et angoissant, regrette-t-elle. En tant qu’autrice, la situation a moins d’impact dans l’éventualité de travailler que pour un comédien, mais il m’est difficile d’écrire car je suis pétrie de ce qu’on vit. Malgré tout, je ne veux pas succomber à cette soumission à la déprime et écrire me permet de me soulever contre celle-ci. Ecrire pour la scène, c’est écrire pour un commun car en écrivant à quelqu’un, on recrée ce commun dont nous sommes aujourd’hui privés. » Une façon d’entrer en résistance.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !