Carnets de création (13/28). Peintre, scénographe et costumière, Catherine Rankl œuvre depuis le début des années 90 à traduire en images et en formes les projets des metteurs en scène de Mattias Langhoff à Marcial Di Fonzo Bo.
Une toile peinte représentant une zone industrielle (usines, cheminées, terrain vague avec divers matériaux) où trône notamment un grand panneau d’affichage publicitaire – vide – et une Trinkhalle, soit une petite buvette caractéristique du monde ouvrier allemand. Puis, la toile se lève, révélant sur la scène ladite Trinkhalle et le panneau d’affichage. Voilà, en l’état actuel du travail, la scénographie prévue pour Corps étranger, la prochaine mise en scène de Matthias Langhoff sur un texte de Manfred Karge – spectacle en cours de répétition à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône. Si le spectateur habitué au travail du metteur en scène franco-allemand reconnaîtra là des motifs récurrents (toile peinte, panneau devenant espace de projection) ; comme une manière d’agréger des éléments réalistes parfois hétéroclites ; propres à nombre de scénographies de Langhoff, il retrouvera aussi la patte de Catherine Rankl.
Imaginée suite à la construction de maquettes et à des échanges nourris avec Langhoff, cette scénographie – où les images, la peinture, œuvrent comme un commentaire à l’espace même – va, comme elle l’explique, jusqu’au bout, être « retravaillé, affinée dans le sens des répétitions et dans celui où Matthias a envie de faire évoluer le spectacle. » Matthias Langhoff, cela fait trente ans que la scénographe, peintre-décoratrice et costumière le connaît. C’est, d’ailleurs, par lui qu’elle est arrivée dans le champ du théâtre. « J’ai commencé à travailler en Italie à 17 ans, avec un peintre qui faisait plutôt de la restauration d’œuvres d’art. Quand je suis rentrée en Suisse, j’ai travaillé un peu à Genève, et y ai, notamment, fait une exposition de peinture à laquelle Matthias est venu. Ayant appris quelques temps plus tard qu’il cherchait des collaborateurs, des techniciens, et plutôt des femmes pour le théâtre de Vidy (qui en manquait) ; et qu’un décor, celui de Macbeth, était en route, je suis allée le rencontrer. Et voilà. »
« Voilà », soit le début d’une collaboration fructueuse, qui lui a permis de réaliser ses premières toiles pour des spectacles, avant de passer également à la réalisation de costumes et scénographies. « Au départ, je ne faisais que la peinture et par des concours de circonstance, nous avons cosigné des scénographies avec Matthias et Jean-Marc Stehlé. Puis, Matthias m’a demandé de faire les costumes pour Philoctète de Heiner Müller (1994) – ces derniers étant particuliers, très en lien avec la peinture. Les choses se sont faites ainsi de suite, sans vraiment de protocole. Mais sans lui je n’aurais pas fait scénographe et costumière, je crois. » Loin d’une modestie mal placée, cette déclaration révèle, plutôt, le sentiment de Catherine Rankl quant à l’essence de son métier : « Au départ, je suis peintre. N’ayant pas fait d’études, je fais toutes ces choses intuitivement et à force d’expériences. Donc c’est vrai que je me revendique vraiment comme peintre, et le reste je l’ai fait car cela s’est trouvé comme ça…
Pour autant, la reconnaissance est là, et ils sont plusieurs à être venus la trouver pour qu’elle collabore à leurs spectacles, l’enjeu consistant toujours pour elle à « traduire un texte en images. C’est une vision de quelqu’un de la lecture d’un texte. » Parmi les metteurs en scène avec lesquels elle a œuvré depuis le début des années 90, citons Marcial Di Fonzo Bo, Jacques Lassalle, Pierre Meunier, ou, encore, Elise Vigier. C’est, d’ailleurs, avec Di Fonzo Bo et Vigier qu’elle vient de terminer Buster Keaton, spectacle qui aurait du voir le jour en janvier à la Comédie de Caen (et dont les représentations sont repoussées en juin). C’est, encore, avec la Comédie de Caen qu’elle commence à plancher en vue de la recréation par Matthias Langhoff de Richard III (Gloucester Time / Matériau-Shakespeare – Richard III) initialement créé en 1995 au Festival d’Avignon. Ce projet réjouissant, en ce que ce spectacle fait partie des œuvres mythiques des années 90, amène Catherine Rankl à constater l’écart avec les budgets de production actuels. « C’est très particulier, car ce décor qui n’était pas si gros pour l’époque l’est maintenant… »
Quant à son sentiment sur l’époque actuelle, Catherine Rankl – comme nombre d’autres acteurs du champ théâtral – témoigne de son questionnement comme de son inquiétude diffuse « sur tous ces spectacles prêts à jouer, alors qu’aucune diffusion n’est possible. Dernièrement, j’ai travaillé plus que jamais. Peut-être allons-nous bientôt connaître le contrecoup, puisque nous ne pouvons pas continuer indéfiniment à produire des spectacles sans débouchés de visibilité. C’est là que la deuxième vague aura lieu pour le monde du spectacle… »
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
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