Pour la deuxième année consécutive, Paul Desveaux et Tatiana Breidi, à la tête du Studio ESCA, font appel à un.e auteur.ice contemporain.ne pour une création qui met en scène les élèves de l’école. Avec On est là ! Pauline Sales répond à la commande avec brio.
Qui de mieux placé que l’ancienne directrice du Centre dramatique national de Vire pour écrire pour et sur la jeunesse ? Chez l’autrice et metteuse en scène, à l’initiative entre autres de la création du festival Ado et de nombreux textes jeune public, le politique et la jeunesse ne sont jamais contradictoires.
Dans On est là ! une bande d’amis décident de plaquer leur vie parisienne pour retaper un vieux corps de ferme dans la Creuse. Adieu les études de socio, les Beaux-Arts ou le poste au ministère de la Culture, ce qu’iels veulent c’est “la vie vraie”. Toutes et tous sont plus ou moins impliqué.es dans des réseaux militants ou politiques. Sainte-Soline, la mort de Nahel, les gilets jaunes, la réforme des retraites, le dérèglement climatique : ces causes les touchent et les poussent à agir, maintenant et concrètement. Alors iels veulent initier une action à leur échelle, une modeste révolte, mais une révolte tout de même, afin d’élargir leurs horizons, à l’instar de ce mur qui coulisse lorsque la troupe arrive dans le corps de ferme et qui agrandit le plateau d’une nouvelle dimension. En abandonnant la course à l’argent et à la réussite sociale, débute alors une nouvelle vie à l’écoute de son corps et des autres, minimaliste en besoins mais débordante de créativité, où le partage est au centre des interactions. “Dire que t’as fais Sciences Po pour en arriver là” soufflent de leur côté les parents.
Le quotidien se déroule ainsi entre les travaux de la maison, organiser des ateliers de réparation ou de l’aide aux devoirs pour les enfants de la commune, faire pousser ses premiers légumes, partager des tâches ménagères et agricoles, organiser des manifestations en tout genre et des soirée débat autour de la pensée de Bourdieu ou bien d’Edouard Glissant. Cahin-caha, l’aventure se poursuit ainsi, même si comme toute expérience collective elle passe évidemment par différentes phases, entre l’exaltation, les premiers conflits, les compromis et les contradictions, les abandons et les réussites. Car au delà des tensions internes, la jeune troupe va également devoir s’intégrer dans cette commune rurale qui regarde avec méfiance ces intellos venus de la ville leur faire la leçon et leur apprendre comment vivre à la campagne. Finalement iels vont sympathiser avec le couple d’agriculteur.ices voisin et, entre échange de savoir et de coups de main, chacun va finalement surmonter ses préjugés. Mais l’aventure prend une toute autre tournure lorsque Nathan rejoint le groupe. Celui qui se présente comme un leader militant charismatique se révèle en réalité un agent policier infiltré et va insinuer la méfiance dans le groupe. Car entre les perquisitions nocturnes et soupçons de radicalité, ces jeunes gens vont se confronter bientôt à la surveillance policière.
Il faut dire que la question du mode d’action dans la lutte n’est pas un sujet écarté. Il est même abordé avec beaucoup de sérénité et d’élégance intellectuelle à travers le personnage d’Isabelle (émouvante et pudique Lisa Schuster) une étrange et solidaire employée agricole qui dort dans un cabanon au fond du verger. Elle s’avère être une ancienne membre d’un groupe d’actions violentes et vient questionner l’utilisation de la force dans la protestation au sein du groupe de jeunes gens qui vont chacun se positionner différemment face à d’épineux choix.
Toujours impeccablement documenté, sans devenir (trop) didactique, le travail de Pauline Sales, accompagnée de Paul Desveaux à la mise en scène et à la scénographie, sait évoquer sans condamner, raconter sans expliquer, ne contourne aucune contradiction ni ambivalence, il n’enlève rien du sérieux de cette entreprise qui est bien plus « qu’une énième coloc de jeunes » mais n’oublie pas de convoquer le rire, les fâcheries, les exaltations amoureuses.
Et si l’implication reste encore inégale chez les comédiens et comédiennes en formation, si visuellement la proposition ne prend pas beaucoup de risques (il aurait pu y avoir plus audacieux qu’un ballet de chaises et de palettes pour évoquer le renouveau d’une génération en pleine révolte), l’enjeu de réunir au plateau la jeunesse d’une troupe pleine d’avenir et de convoquer un texte contemporain résonne avec force et perspicacité avec la réalité de celles et ceux qui luttent pour une terre plus vivable.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
On est là !
Texte : Pauline Sales
mise en scène : Paul Desveaux
assistanat à la mise en scène : Abigaëlle Janssens-Rivallain
scénographie : Paul Desveaux
lumières : Laurent Schneegans
costumes : Philippine Lefèvrerégie : Hélène Hullin
avec : Aglaé Bondon, Jasmine Cano, Branwen Corbett, Bastien Fontaine-Oberto, Julien Gallix, Samuel Lagnier, Rose Noël, Vincent Odetto, Pierre Pauc, Léa Constance Piette, Louise Saillard Rezaire, Lisa Schuster.
production Le Studio | ESCA
Durée : 2 heures
du 8 février au 3 mars 2024
au Studio ESCA d’Asnière
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