Les chanteurs et musiciens de l’Académie de l’Opéra de Paris défendent avec jeunesse et conviction Owen Wingrave, un opéra rarement donné de Benjamin Britten dirigé par Stephen Higgins et mis en scène par Tom Creed sans idées fortes mais avec efficacité dramatique.
Commandé en 1971 par la BBC, l’opéra en deux actes a été conçu pour la télévision avant la scène. A sa manière d’enchaîner les espaces et les climats comme de condenser le temps, la dimension cinématographique de son écriture musicale et livresque est évidente. Montée après sa diffusion au Royal Opera House dans une version scénique à laquelle le compositeur hospitalisé n’a pu assister, la pièce demeure très rarement présentée. S’y développent pourtant les thèmes de prédilection de son compositeur : la jeunesse compromise et corrompue de son personnage principal rappelle celle de Billy Budd ; son climat trouble, angoissant et morbide fait écho à celui du Tour d’écrou.
Inspiré d’une nouvelle d’Henry James, l’opéra comprend une charge antimilitariste concordante aux idées et valeurs de Britten, pacifiste dans l’âme, comme l’atteste son bouleversant War Requiem où se déclare un clair rejet de la guerre. L’œuvre manifeste aussi un intérêt pour la psychologie humaine et dessine le portrait d’un antihéros en rupture avec les traditions ancestrales et les pressions familiales. Owen est déterminé à ne pas embrasser une carrière de soldat mais son choix est irrecevable pour sa respectable famille qui a gagné son honneur sur les champs de bataille.
Si la mise en scène n’offre pas une vision à la hauteur de la violence et de la subversion du propos, elle oscille, avec pragmatisme, entre un réalisme du quotidien assez facile et un onirisme mortifère. Un solide mur de parpaings gris suggère l’oppression suffocante et l’envie d’échappée qui s’exercent sur Owen. Devant, des militaires en treillis et des bourgeoises en robe du soir s’agitent autour de l’imposante présence de volatiles, métaphore plumesque d’un royaume de Paramore en proie au malheur.
Conduite dans un travail plutôt limité sur le jeu, l’équipe se défend néanmoins et montre qu’une nouvelle génération de chanteurs possède, comme il se doit à l’opéra aujourd’hui, de belles qualités musicales autant qu’un engagement théâtral naturel. Dans le rôle-titre, Piotr Kumon, entré à l’atelier lyrique de l’Opéra national de Paris en 2013, offre une présence et une voix absolument justes. Son interprétation romantique et adolescente du personnage, déserteur en jean et sweet à capuche, se fait douce et de plus en plus habitée jusqu’à la fin où sur les scintillements de la harpe et du xylophone, Owen clame entre hallucination et résignation : « Dans la paix, je me suis trouvé moi-même » puis met fin à ses jours. Le reste de la distribution est solide même si les voix féminines frôlent l’acidité dans l’aigu et que le chant demeure parfois trop fort. Il faut dire que la configuration choisie, se servant de l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille comme d’une agora grecque, fait chanter les solistes aussi bien sur scène que dans les allées de la salle. L’écoute musicale et la perception des équilibres s’en voient considérablement modifiées.
Même avec un effectif réduit d’une dizaine d’instrumentistes, l’orchestre ne manque pas d’ampleur sonore et se montre subtil dans une tension en sourdine mais bien palpable. Parfois trop monochrome, il n’épouse pas toujours les nombreuses ruptures de styles proposées par la partition qui s’emploie à définir dans le détail et avec force évocation les différents caractères des figures, situations et atmosphères décrites dans le livret.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
OPÉRA
OPÉRA EN DEUX ACTES
1971
MUSIQUE
Benjamin Britten (1913-1976)
LIVRET
Myfanwy Piper
D’APRÈS
Henry James
En langue anglaise
Surtitrage en français
Coproduction avec l’Irish Youth Opera
DIRECTION MUSICALE Stephen Higgins
MISE EN SCÈNE Tom Creed
ASSISTANTE À LA MISE EN SCÈNE Maëlle Dequiedt, metteur en scène en résidence à l’Académie
DÉCORS ET LUMIÈRES Aedin Cosgrove
COSTUMES Catherine Fay
DRAMATURGIE Eoghan Carrick
Orchestre :
Cordes : Musiciens de l’Académie de l’Opéra national de Paris
Harmonie, percussion et harpe
Orchestre-Atelier Ostinato
SOLISTES DE L’ACADÉMIE DE L’OPÉRA NATIONAL DE PARIS
OWEN WINGRAVE Piotr Kumon
SPENCER COYLE Mikhail Timoshenko
LECHMERE Jean-François Marras
MISS WINGRAVE Elisabeth Moussous
MRS. COYLE Sofija Petrović
MRS. JULIAN Laure Poissonnier
KATE JULIAN Farrah El Dibany
GENERAL SIR PHILLIP WINGRAVE, NARRATEUR, BALLAD SINGER Juan de Dios Mateos SeguraAMPHITHÉÂTRE BASTILLE
5 représentations du 19 au 28 novembre 2016
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