Pierre Louis-Calixte retrouve les planches avec une pièce dont il est l’auteur et qu’il joue seul en scène. Son portrait de Molière en dit davantage sur lui que sur le dramaturge : on s’en réjouit.
« Tout portrait que l’on peint avec âme est un portrait non du modèle, mais de l’artiste ». Cette formule, trouvée par Oscar Wilde dans Le Portrait de Dorian Gray, cristallise ce qui est à l’œuvre dans ce Molière-matériau(x), une pièce écrite et interprétée par Pierre Louis-Calixte. Le 524e sociétaire du Français, à qui Éric Ruf a proposé cette carte blanche pour célébrer les 400 ans du baptême de Molière (un « Singulis » dit-on à la Comédie-Française), brosse un portrait si fiévreux et si singulier du dramaturge, qu’il en vient à éclipser son sujet ; le paradoxe est réjouissant, car Pierre Louis-Calixte le fait avec une pudeur et une sensibilité désarmante. C’est une pièce, composée avec une plume magnifique, à cheval entre l’hommage, les mémoires, l’essai philosophique et le récit de coulisses.
Tout commence avec une démonstration. Attablé devant une lampe de bureau et une pile de vieux livres, l’acteur consulte Voltaire, La Grange et d’autres biographes de l’auteur afin de prouver qu’il n’existe pas un Molière, mais des Molières. Les faits sont imprécis, les portraits dissemblables, les anecdotes approximatives… Et l’objectivité mérite d’être évacuée. À lui, donc, de nous raconter son rapport avec le dramaturge et les pièces qui jalonnent son parcours d’acteur. Il incarna Harpagon au lycée, vivant ses premières émotions de théâtre avec une scène de L’Avare. Il entra dans la troupe du Français, dans les habits de Cléante du Tartuffe. Il pensa à Molière quand il campa Louis, le protagoniste de Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, sous la direction Michel Raskine. Et il fut confronté à cette étrange malédiction exprimée par Argan dans Le Malade imaginaire : « N’y a-t-il point quelques dangers à contrefaire le mort ? » Au regard des événements, il semblerait que ce soit bien le cas… La superstition fait froid dans le dos. Molière est mort en jouant Argan, le 17 février 1673.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Lorsqu’il enfila le costume de Cléante, Pierre Louis-Calixte remplaçait au pied levé Daniel Znyk, brutalement décédé pendant de l’exploitation du Tartuffe. Le comédien raconte les évènements qui précédèrent le drame : ce soir-là, Laurent Stocker, Michel Vuillermoz et Daniel Znyk s’étaient retrouvés après une représentation et s’amusaient à jouer, chacun à leur tour, des hommes victimes d’un infarctus, pour rigoler. En rentrant chez lui, Daniel Znyk tomba devant la porte de son immeuble, foudroyé d’une crise cardiaque. L’horreur absolue… Plus tard, lorsqu’il incarnait Louis de Juste la fin du monde, un personnage condamné par la Sida, Pierre Louis-Calixte apprit qu’il était atteint d’une leucémie. Il arrêta le théâtre, suivit les traitements adéquats et guérit, heureusement. Néanmoins, précaution oblige, il fut contraint de ne plus jouer avec l’arrivée du Covid, son système immunitaire étant trop fragile. Avec ce Molière-matériau(x), il revient pour la première fois sur les planches depuis plus de deux ans. L’intensité de son interprétation et la précision de sa plume conjurent la mort. On en sort bousculé et ragaillardit, avec l’étrange impression d’avoir assisté à autre chose que du théâtre, mais plutôt un moment de vérité. L’expression est galvaudée… Nous l’employons à dessein.
Igor Hansen-Love – Sceneweb.fr
Singulis / Molière-Matériau(x)
Conception et mise en scène Pierre Louis-Calixte
Lumières Catherine Verheyde
Durée : 1 h 20
Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Paris
du 24 mai au 11 juin à 20h30
Très bon!