Au Théâtre 13, le jeune metteur en scène rejoue, dans les pas de Bertrand Guillot, la nuit du 4 août 1789, mais accouche d’un spectacle maladroit qui cherche à séduire plutôt qu’à convaincre son auditoire.
Reconnaissons à Hugues Duchêne le mérite, et le courage, de la clarté. Dans le dossier de présentation qui accompagne son nouveau spectacle, L’Abolition des privilèges, le jeune metteur en scène détaille par le menu, comme le veut souvent cet exercice, la genèse de son projet. Le livre de Bertrand Guillot dont il s’est inspiré ? L’artiste l’a découvert grâce à « une podcasteuse féministe jouissant de 67K followers sur Instagram » qui était venue voir sa pièce précédente, Je m’en vais mais l’État demeure, et qui, à son issue, en avait profité pour lui remettre un exemplaire dédicacé de l’ouvrage de son compagnon, « auteur de roman historique ». La forme pour le moins légère, celle d’un seul en scène avec peu d’éléments de décor ? Il s’est vu souffler l’idée par Jérôme Montchal, le directeur de la Scène nationale de Châteauroux, L’Équinoxe, qui, au détour d’une conversation, lui aurait dit : « Pour ton prochain spectacle, tu voudrais pas faire un Shakespeare ? Un Shakespeare ou un spectacle plus léger… Avec deux acteurs maximum. D’une heure tout au plus… Parce que tu comprends, un spectacle de 5 heures sur la politique française écrit par un metteur en scène émergent c’est pas ce qu’il y a de plus simple pour remplir ! ». Comme si l’audace créatrice devait être définitivement remisée au placard, comme si l’image de l’artiste ayant le besoin impérieux, et intime, de monter une oeuvre avait vécu, cannibalisée par des contraintes de production et de diffusion toujours plus drastiques qui, comme nous le subodorions ces derniers mois, tendent, sans doute encore plus aujourd’hui qu’hier, à enserrer les désirs artistiques, à façonner les réalisations, et, parfois, à en amoindrir la qualité. Car, après son audacieuse fresque sur la politique contemporaine, Hugues Duchêne a bel et bien choisi, et il serait cruel de totalement lui reprocher au regard du contexte actuel, de rentrer dans le rang et de se couler dans un moule qui structure, et cadenasse, son nouveau spectacle de part en part.
Loin de Joël Pommerat et de son formidable Ça ira (1) Fin de Louis, cette traversée des débuts de la Révolution française dotée d’une belle ampleur théâtrale et intellectuelle, le jeune metteur en scène se focalise sur la seule nuit du 4 août 1789 où, alors que la Grande Peur règne dans les campagnes, l’Assemblée nationale constituante décide de mettre à bas le système féodal, d’en abolir tous les droits et privilèges, y compris ceux des provinces. Dans un espace en quadri-frontal, entouré par des spectatrices et des spectateurs devenus, le temps d’une soirée, en fonction de leur place, membres du Tiers-État, de la Noblesse ou du Clergé, Maxime Pambet endosse alors, tout à la fois, le rôle du narrateur et des principaux protagonistes qui, discours après discours, font céder la digue de l’Ancien Régime. Excités par l’effervescence des grands soirs, se croisent, pêle-mêle, Adrien Duquesnoy et Joseph Delaville Le Roulx, tous deux députés du Tiers-État, le président de l’Assemblée, Isaac Le Chapelier, Talleyrand, alors simple député du Clergé, mais aussi Louis Marie Antoine de Noailles, Guy Le Guen de Kerangal ou encore Armand-Désiré de Vignerot du Plessis qui, les uns après les autres, et dans une étonnante surenchère, en appellent, depuis la tribune, à supprimer les privilèges dont ils jouissent pourtant en tant que nobles.
Aux commandes de cette folle soirée législative, le comédien ne ménage jamais sa peine et redouble d’efforts pour imprimer un rythme d’enfer qui traduit parfaitement l’ébullition de ce moment d’Histoire, en même temps qu’il permet au spectacle, dans sa version la plus courte, de passer sous l’heure de représentation et de tout juste l’excéder d’un gros quart d’heure dans sa forme la plus longue. Malgré tout, et en dépit de son talent, Maxime Pambet touche rapidement du doigt les limites de cet exercice en solitaire qui l’oblige, alors que tout repose sur des joutes oratoires, à adopter un jeu aux traits et aux voix un peu forcés pour permettre à tout un chacun de s’y retrouver dans le panel de personnages convoqués et incarnés. D’autant que, pour casser le côté cours d’Histoire qui, nécessairement, peut émerger d’un tel projet, Hugues Duchêne cherche moins la théâtralité dans les figures présentes dans le texte de Bertrand Guillot que dans des subterfuges de mise en scène bien connus, et largement éprouvés, qui conduisent à tirer le public par la manche, à l’impliquer physiquement, pour espérer se le mettre dans la poche, qui, en définitive, veulent chercher à le séduire plutôt qu’à le convaincre.
Surtout, le jeune metteur en scène ne fait pas suffisamment confiance à ses spectatrices et spectateurs, et ne les laissent pas parcourir par eux-mêmes le chemin intellectuel qui les séparent naturellement de son spectacle et de ce fragment d’Histoire. Réduites à la portion (très) congrue, les deux dernières parties de l’ouvrage de Bertrand Guillot, qui reviennent, respectivement, sur les événements antérieurs et postérieurs à la Nuit du 4 Août afin de lui offrir un autre relief, sont remplacées par une discussion maladroite entre le metteur en scène et son comédien qui font mine de s’interroger sur ce que la notion de « privilèges » pourraient aujourd’hui recouper. De la domination patriarcale à la crise écologique, en passant par le racisme systémique, tout semble alors devoir y passer, dans une logique relativiste et intellectuellement faiblarde qui ne fait, en réalité, qu’acter l’échec d’Hugues Duchêne : incapable de former, alors qu’elles sont légion, des résonances entre la situation de 1789 et celle d’aujourd’hui par le biais d’une vraie lecture théâtrale, l’artiste se croit obligé d’y aller au forceps et de basculer dans une exégèse bassement politique qui, en même temps que le rythme de la représentation, alourdit l’ensemble de son projet. Preuve, une nouvelle fois, que le didactisme et le théâtre font rarement bon ménage.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
L’Abolition des privilèges
d’après Bertrand Guillot (Les Avrils)
Adaptation et mise en scène Hugues Duchêne
Avec Maxime Pambet
Régie son, lumière, générale Jérémie Dubois
Collaboration artistique et création vidéo Pierre Martin Oriol
Scénographie Julie Camus
Voix off Lisa HoursProduction Le Royal Velours
Coproduction La Rose des Vents – Scène nationale de Villeneuve d’Ascq ; La Maison de la Culture d’Amiens ; Le Phénix – Scène nationale de Valenciennes
Le Royal Velours bénéficie du soutien de la Région Hauts-de-France et de la DRAC Hauts-de-France pour la création de L’Abolition des privilèges et de la Ville de Paris pour sa diffusion au Théâtre 13 – Paris.
Accueil en résidence Maison de la culture d’Amiens, Théâtre 13 – Paris, Théâtre du Nord – CDN Lille-Tourcoing Hauts-de-France, La Rose des Vents – Scène nationale de Villeneuve d’AscqDurée : 1h15
Théâtre 13, Paris
du 20 au 30 mars 2024La Rose des Vents, Scène nationale de Villeneuve d’Ascq, dans le cadre des Belles Sorties :
– Salle des fêtes, Houplines
le 11 avril– Médiathèque François Mitterrand, Annœulin
le 12 avril– Le Kiosk, Marquette-lez-Lille
le 13 avril– Salle Georges Brassens, Lezennes
le 18 avril– Maison du Temps Libre, Erquinghem-le-Sec
le 31 mai– Salle André Malraux, Neuville-en-Ferrain
le 1er juinMaison de la Culture d’Amiens, en itinérance :
– Salle communautaire, Mézières-sur-Oise
le 19 avril– Communauté de communes des Lisières de L’Oise, Attichy
le 11 maiFestival de Malaz
le 27 juinFestival Off d’Avignon 2024, Théâtre du Train Bleu
du 3 au 21 juillet
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