Au Théâtre des Champs-Elysées, la Cendrillon de Rossini brille et pétille comme des bulles de savon dans la mise en scène moderne et enjouée de Damiano Michieletto. Le spectacle coproduit avec le Semperoper de Dresde profite d’une relecture vivifiante et d’interprètes survoltés.
L’italien Damiano Michieletto est un des rares metteurs en scène internationaux actuels à aborder avec autant d’invention que d’habileté les pièces du répertoire dit léger et leur redonner de l’intérêt. L’artiste, qui a monté pas moins de dix ouvrages de Rossini et qui a fait copieusement tournoyer le Barbier de Séville sur la scène de l’Opéra Bastille, s’empare de La Cenerentola. Après avoir été donnée à Paris dans l’antique mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle puis dans la morose version de Guillaume Gallienne, la pièce avait bien besoin d’une lecture vivifiante. C’est chose faite.
Plantée dans le cadre contemporain d’une salle de réfectoire aux murs froidement carrelés, mais aussi finement saupoudrée d’un soupçon de magie providentielle et enfin achevée dans un feu d’artifices de bulles de savon, la Cendrillon de Rossini a tout pour plaire et pour briller. C’est un Alidoro aux allures de magicien qui tire les ficelles de son intrigue. Descendu opportunément d’un ciel nébuleux au cours de l’ouverture, Alexandros Stavrakakis, voix et présence de stentor, mixe les rôles d’ange-gardien, de vagabond et de facétieux Cupidon. Il parvient, au moyen d’un changement de décor assez spectaculaire, à transformer une serveuse de cafeteria martyrisée par son patron (drôle et violent Peter Kálmán) en femme du monde prenant ses aises incognito dans l’univers bling-bling d’un salon de réception.
Aussi à l’aise en gants de vaisselle en caoutchouc, jupe simple, long tablier et fichu sur la tête, qu’en robe de soirée d’un rouge incendiaire, lunettes de soleil, et talons hauts, Marina Viotti enchaîne d’abord une course ininterrompue du chariot de ménage aux plateaux de service, comme elle attire, captive et vampe ensuite tous les regards. Cœur pur et palpitant, sa Cenerentola jouit du timbre chaud, aussi soyeux que généreux, et de l’ évidente virtuosité dans les vocalises de sa formidable interprète. Depuis sa géniale Périchole, on ne se lasse pas d’admirer l’art et la manière avec lesquels la chanteuse donne à ses rôles une vraie étoffe, un tempérament de feu, une impertinence dosée d’une fine mélancolie sentimentale et rêveuse.
L’éblouissant Don Ramiro du jeune ténor belcantiste Levy Sekgapane possède des aigus qui sonnent clairs et vigoureux, tandis que Dandini, le valet qui prend sa place dans les pures règles d’un jeu marivaudien, est le suave et ultra-classieux Edward Nelson, aussi à l’aise dans le chant que dans le jeu. La direction musicale confiée au chef baroqueux Thomas Hengelbrock à la tête de son ensemble Balthasar Neumann en fosse, fait très bonne impression, faisant entendre un Rossini alerte et allègre, des plus haletants.
Le trait pourrait sembler parfois épais. C’est pourtant sans jamais ridiculiser ni clichéiser les personnages – exception faite pour les deux pestes de belles-sœurs (Alice Rossi en Clorinda et Justyna Ołów en Tisbe qui font une sacrée paire de pinailleuses mal fagotées dans des tenues criardes hypercolorées) -, que la mise en scène suscite un rire plus volontiers empathique que seulement moqueur. Si elle sait prendre à dessein ses libertés, elle développe aussi quelques très bonnes idées trouvant évidemment leur source dans la musique et le livret. Damiano Michieletto s’affranchit du conte de fées et signe un spectacle inspiré, bien rythmé, bien réglé. Une évidente efficacité théâtrale se laisse contempler sur le plateau où solistes et chœurs d’hommes (qu’il faut découvrir travestis en mémères endimanchées à la poursuite du prince), se régalent à jouer, à oser, l’excentricité comme la sincérité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
La Cenerentola
de Gioachino Rossini
Thomas Hengelbrock | direction
Damiano Michieletto | mise en scène
Paolo Fantin | scénographie
Agostino Cavalca | costumes
Alessandro Carletti | lumières
Rocafilm | vidéo
Chiara Vecchi | chorégraphieMarina Viotti | Angelina
Levy Sekgapane | Don Ramiro
Edward Nelson | Dandini
Peter Kálmán | Don Magnifico
Alice Rossi | Clorinda
Justyna Ołów | Tisbe
Alexandros Stavrakakis | AlidoroOrchestre Balthasar Neumann
Chœur Balthasar NeumannCoproduction Théâtre des Champs-Elysées | Semperoper Dresden
Avec le soutien d’Aline Foriel-Destezet,
Grand Mécène de la saison artistique du Théâtre des Champs-ElyséesDurée : 3h avec entracte
du 9 au 19 octobre 2023
Théâtre des Champs-Elysées
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