Le théâtre du Rond-Point accueille la trilogie de Marina Otero composée de Fuck Me, Love Me et Kill Me, où l’artiste argentine met en scène sa vie, sans oublier ses fragilités et sa douleur, dans un théâtre pluridisciplinaire.
Elle met en scène toute sa vie, se dévoilant tour à tour vulnérable et combattante. La metteuse en scène argentine quadragénaire Marina Otero débarque au théâtre du Rond-Point à Paris pour présenter trois pièces : Fuck Me (2020), où le récit de la dictature argentine s’entrechoque à des danseurs en cuir et latex, Love Me (2022), solo qui fait jaillir violence et angoisses et Kill Me (2024), où elle convoque une communauté de performeurs atteints de troubles mentaux et fantasme sa mort. Elle nous parle de cette trilogie qui mêle mensonge, vérité et empouvoirement.
Depuis 2015, vous menez une recherche artistique intitulée Recordar para vivir (Se rappeler pour vivre), qui ambitionne de durer toute votre vie. Pourquoi avoir amorcé ce projet ?
Marina Otero : Je viens d’une famille où les violences envers les femmes étaient monnaie courante. Je n’ai jamais eu vraiment confiance en moi. La performance et le théâtre m’ont permis de créer un personnage, de trouver une forme d’empouvoirement. Je vois la fiction comme un outil pour m’apprendre à exister et Recordar para vivir est une manière de défier l’idée du suicide.
Les trois dernières pièces de cette recherche Fuck Me, Love Me et Kill Me forment toutefois une trilogie ?
Tout à fait, elles témoignent de la manière dont j’ai évolué ces dernières années. Ma vie a beaucoup changé depuis la création de Fuck Me : j’ai tourné la pièce dans plusieurs pays et j’ai déménagé de Buenos Aires à Madrid. C’est ironique d’avoir créé Fuck Me dans l’immobilité totale [elle était immobilisée après un grave accident, NDLR], une pièce qui m’a permis de parcourir le monde entier ! Si cette trilogie me permet de prendre conscience de transformations majeures dans ma vie, dans ma manière de travailler et dans mes relations, elle montre aussi que la nausée, la douleur et la tristesse persistent.
Dans ces trois pièces, vous mettez en scène plusieurs moments de votre vie, des disputes avec votre ex au diagnostic d’un trouble de la personnalité borderline, en passant par votre frustration sexuelle après votre accident. Comment abordez-vous cette narration de vous-même ?
J’ai étudié l’anthropologie et c’est ce prisme que j’applique à mon travail. Je m’attache à l’observation d’une personne dans le temps : moi-même. Je reconnais qu’il y a quelque chose de problématique dans cette démarche, une forme d’objectification de moi-même et des relations amoureuses que j’ai traversées. J’essaye de rester vigilante à ça.
À quel niveau dans l’autobiographie ou la fiction vous situez-vous ?
C’est difficile de tracer une frontière claire entre la vie et la fiction. Quand on raconte ce qui nous arrive, les faits sont biaisés par notre perception. J’aime prendre l’exemple de deux frères à qui il serait arrivé la même chose : chacun va relater les faits de manière différente, pourtant il n’y a pas moins de réalité ou de vérité dans le récit de l’un ou de l’autre. En cela, j’aime dire que dire que je travaille avec la vérité et le mensonge.
Dans Kill Me, vous avouez même être narcissique !
Je ne vois pas de différence entre ce que je fais sur scène et ce que nous faisons tous et toutes sur les réseaux sociaux en parlant tout le temps de nos vies et en commercialisant nos expériences. C’est un narcissisme très capitaliste. Je ne pense que si j’étais vraiment narcissique, je ne dirais pas ça de moi-même. Les gens narcissiques sont incapables d’empathie ou de travailler avec d’autres. Dans tous mes spectacles, le groupe, la collaboration et la rencontre avec d’autres personnes ont été essentiels, que ce soit avec les danseurs de Fuck Me, l’auteur Martín Flores Cárdenas pour Love Me ou le groupe de performeurs, pour la plupart atteints de troubles mentaux, dans Kill Me.
On pourrait considérer vos pièces comme pluridisciplinaires, car elles rassemblent la vidéo, le théâtre, la danse, la performance. Quelle formation avez-vous suivie ?
En plus de l’anthropologie, j’ai suivi une formation de danse, mais je me considère comme autodidacte. C’est ma propre expérience qui est avant tout à l’origine de mon art. Quand je travaille sur mes expériences personnelles ou ma douleur, je ne les traverse pas seulement de manière cérébrale, mais elles passent par mon corps. C’est un processus qui peut sembler un peu chaotique de prime abord, mais j’ai découvert au fil du temps la solidité et la discipline qu’il apportait dans mon travail.
On croirait que vous vous permettez tout sur scène… Quelle relation entretenez-vous avec l’espace du théâtre ?
C’est un lieu de liberté lié au pouvoir, dans un sens très littéral qui est celui de la capacité de faire. Le théâtre est pour moi un lieu de liberté et d’intimité qui me protège. Il me donne la possibilité de créer un rituel amoureux, où l’on raconte nos histoires en sachant qu’on est là, tous ensemble.
Propos recueillis par Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Théâtre du Roind-Point, Paris
Fuck Me
du 18 au 22 septembre 2024Love Me
le mardi 24 septembreKill Me
du 25 au 29 septembre
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